- 5 novembre 2024
- Jilani Ben Lagha - AMEF Consulting
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LE CONCEPT D’ADMINISTRATEUR INDEPENDANT
I. Le Concept de l’Administrateur Indépendant
Le concept d’Administrateur Indépendant trouve son origine aux USA, depuis les premières recommandations de la Securities and Exchange Commission (SEC) en matière de gouvernance en 1940.
Ce n’est qu’en 1978, que la réglementation américaine a exigé des sociétés cotées, la mise en place de comités d’audit composés exclusivement d’administrateurs indépendants.
Ce concept a également été vulgarisé en Grande Bretagne dans les années 1990 avant d’être suivie en France, précisément en 1995, à travers le premier rapport Vienot(1) en matière de gouvernement d’entreprise.
En Afrique, les régulateurs sous régionaux n’étaient pas en marge de la promotion de ce concept qui est devenu obligatoire au sein des établissements financiers des pays membres de la CEMAC (communauté Economique et monétaire de l’Afrique Centrale) en vertu du règlement 408 signé le 06 Octobre 2008.
En Tunisie, la question de l’Administrateur Indépendant trouve son cadre législatif dans les dispositions de la loi n°2016-48 du 11 Juillet 2016 relative aux Banques et Etablissements Financiers, notamment les articles 47 et 60, ainsi que les conditions exigées par la Circulaire BCT n°2021-05 relative à la définition d’un cadre de gouvernance pour les Banques et les Etablissements financiers, notamment les articles 20, 23, 24 et 25, et la décision générale du CMF n°23 du 10 mars 2020 relative aux critères et modalités de désignation des membres indépendants au conseil d’administration et au conseil de surveillance et du représentant des actionnaires minoritaires, notamment les articles 2, 3, 4 et 5.
Cependant, cette notion n’a pas été abordée par le code des sociétés commerciales dont les articles de 189 à 223, traitent avec grande profondeur les conditions de nomination et de rémunération et des responsabilités des administrateurs des sociétés anonymes sans parler de l’administrateurs indépendant.
II. Qualifications de l'administrateur indépendant
1. Les critères formels - cas de la Tunisie
Au sens des règlements sus mentionnés et au-delà des conditions d’honorabilité, d’intégrité, d’impartialité, d’honnêteté, de confidentialité ainsi que de compétence et d’expérience adaptées à ses fonctions, le candidat au poste de membre indépendant du Conseil d’Administration d’une banque ou d’une institution financière en Tunisie doit satisfaire à un ensemble d’exigences dont nous citons à titre non exhaustif :
- Être une personne physique et jouir de ses droits civils ;
- Ne pas avoir à la date de la candidature au poste d’Administrateur Indépendant aucun intérêt direct ou indirect avec la société concernée, l’un de ses actionnaires ou ses administrateurs, ou une tierce partie de nature à affecter l’indépendance de sa décision et la confidentialité des informations ou à le mettre dans une situation de conflit d’intérêt réel ou potentiel ;
- Ne pas être ou ne pas avoir été au cours des cinq (5) années qui précèdent le dépôt de candidature Président Directeur Général, Directeur Général, Directeur Général Adjoint, Président du Directoire, Directeur Général Unique, ou salarié de la société en question ou d’une société appartenant au même groupe de ladite société en question ;
- Ne pas être ascendant ou descendant ou conjoint du Président directeur Général, directeur Général, Directeur Général Adjoint, Président du Directoire ou Salarié de la société concernée par sa candidature ou d’une société appartenant au même groupe que la société concernée par sa candidature.
- Ne pas être prestataire de services, notamment conseiller, client, fournisseur ou salarié de la société concernée.
- Avoir au moins une maîtrise (ou un diplôme équivalent) et une expérience professionnelle d’au moins 5 ans dans le secteur financier et notamment dans l’évaluation des risques et l’audit interne
Il est bien clair que les critères sus mentionnés tirés de la règlementation Tunisienne demeurent valables dans beaucoup d’autres pays car ils obéissent dans leurs ensembles à des règles évidentes de renforcement de la notion d’indépendance.
2. Le profil de l’administrateur indépendant
L’accent mis sur les critères formels tels que mentionné ci-dessus, ne doit pas cacher d’autres impératifs de fond, tels que, notamment, les compétences professionnelles et les aspects comportementaux.
L’administrateur indépendant doit jouir d’une capacité d’adaptation et d’assimilation qui lui permettent de se pencher aisément dans l’exercice de sa fonction sur les compétences spécifiques pour lesquelles il a été choisi. Si le domaine d’expérience de l’administrateur est éloigné de celui de l’entreprise, il doit le plus rapidement possible acquérir une connaissance des activités de l’entreprise.
Ainsi l’Administrateur Indépendant doit notamment :
- Connaître le fonctionnement du Conseil d’Administration et les règles de gouvernance de l’entreprise.
- Apprendre à connaître le secteur d’activité dans lequel l’entreprise opère pour se familiariser avec les enjeux spécifiques auxquels celle-ci doit faire face.
- Développer ses compétences dans les domaines où elles seront les plus sollicitées grâce à la possibilité de suivre des programmes de formation (devenue une obligation de la circulaire BCT 2021-05).
- Apporter une expérience professionnelle ou personnelle offrant un éclairage extérieur et utile à l’entreprise : le fait que l’administrateur soit extérieur à l’entreprise doit permettre au conseil d’administration de bénéficier d’une ouverture intellectuelle plus importante.
- Pouvoir consacrer à l’accomplissement de sa fonction tout le temps nécessaire et ne pas avoir de responsabilités exécutives trop prenantes dans d’autres sociétés, et ceci d’autant plus lorsque l’administrateur indépendant est amené à participer aux travaux des comités spécialisés du conseil
III. Administrateur indépendant et performances
Le Comité de Bâle souligne que le conseil d’administration doit être à même d’exercer ses fonctions et que sa composition doit permettre une surveillance efficace. À cette fin, le conseil d’administration doit compter un nombre suffisant d’administrateurs indépendants (Rapport BRI Juillet 2015 -point 47).
Par ailleurs, bien que les études traitant de l’impact du degré d’indépendance du conseil d’administration sur la performance des banques ne sont pas abondantes , certains rapports et études peuvent être cités :
Selon Charreaux et Pito l-Be lin (1991)(2), l’administrateur indépendant possède l’entière liberté dans sa prise de décision. Son indépendance lui permet de donner des réponses appropriées aux problèmes de conflits d’intérêts qui pourraient exister entre les dirigeants et les actionnaires.
Dans une étude réalisée sur l’impact du conseil d’administration sur la performance financière des entreprises tunisiennes, les Professeurs Bouaziz Zied et Triki Mohamed aboutissent à un impact plus ou moins important de l’indépendance du conseil sur la performance financière des sociétés mesurée par les ratios ROE et ROA et le Q de Tobin (extrait) :
« Le Conseil d’Administration joue un rôle essentiel en tant que mécanisme de gouvernance interne des entreprises. En effet, son efficacité est tributaire de la présence de plusieurs facteurs dont les plus importants sont liés aux caractéristiques qui portent essentiellement sur l’indépendance de ses membres, la taille du conseil, la combinaison des fonctions de décision et de contrôle et le degré d’indépendance du comité d’audit et la diversité de genre du conseil. Pour tester la validité de notre hypothèse qui stipule l’existence d’une caractéristique déterministe du conseil sur la performance financière mesurée par trois ratios différents, à savoir le ROA(3),le ROE(4) et le Q de Tobin(5), nous avons développé trois modèles de régression linéaire. Notre validation empirique a été menée sur un échantillon de 26 sociétés cotées à la bourse tunisienne des valeurs mobilières de Tunis (Bourse des Valeurs Mobilières de Tunis) sur une période qui s’étend sur quatre ans (2007-2010). Les modèles estimés présentent des résultats satisfaisants montrant l’importance de l’impact des caractéristiques du conseil sur la performance financière des entreprises tunisiennes. »
Les constats sus mentionnés sont confirmés par une étude effectuée sur un échantillon de 69 banques européennes réparties entre plusieurs pays (Allemagne, le Royaume Uni, l’Espagne, la France et l’Italie) sur la période 1996-2005, dans laquelle Busta (2008) a observé que les banques caractérisées par une forte présence d’administrateurs indépendants connaissent une meilleure performance mesurée par le Q Tobin, le ROA et le ROIC (Return on Invested Capital)
Ces constats convergent avec les constats de Cornett et al (2009) qui ont observé un impact positif des membres indépendants sur la performance bancaire exprimée par le rendement des actifs (ROA), en raison d’une surveillance accrue sur les gestionnaires.
Ainsi, sur la base de la littérature, nous pouvons conclure que plus l’indépendance est élevée plus le conseil d’administration permet à ses membres de prendre des décisions modérées et d’adopter des stratégies influentes sur la performance de l’entreprise.
En Tunisie, le législateur n’a pas fixé de limite supérieure mais il a exigé un minimum de deux administrateurs indépendants … Les banques et les institutions financières sont-elles ainsi appelées à renforcer l’indépendance de leurs CA afin de gagner en bonne gouvernance … voire en meilleures performances financières.
On a bien remarqué dans le premier paragraphe que le code des sociétés commerciales (CSC) qui constitue le cadre juridique le plus propice et le plus habilité en matière de gouvernance des sociétés en Tunisie, n’a pas traité ni parlé ou même désigné le concept d’administrateur indépendant. La question juridique essentielle est de savoir si cet « administrateur indépendant » peut déroger au statut de l’administrateur des sociétés anonymes tel que défini par le CSC. En d’autres termes, les administrateurs indépendants peuvent-ils constituer une catégorie juridique d’administrateurs ?
Est-il juridiquement fondé de différencier entre administrateurs classiques et administrateurs indépendants et d’établir ainsi une catégorisation ?
En d’autres termes, les administrateurs dits indépendants peuvent-ils avoir une réglementation, un statut juridique et un pouvoir particulier qui les différencieraient des administrateurs classiques ? Peuvent-ils être désignés spécifiquement et avoir des droits ou obligations que n’auraient pas les administrateurs classiques ?
(1) En France, le rapport Vienot (Marc Vienot, le président de la Société Générale) est l’un des rapports qui émet des recommandations en matière de gouvernance d’entreprise. Ce rapport est un code de bonne conduite et non un texte juridiquement contraignant.
(2) Gérard Charreaux : Université de Bourgogne | UB · Institut d’administration des entreprises Doctorat d’Etat en Sciences de Gestion
(3) ROE: Return on Equity,
(4) ROA : Return on Assets,
(5) Q de Tobin = Market Value of Assets/Replacement Cost of Assets
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