- 3 avril 2020
- Meriem Cherif - AMEF Consulting
- 1 Comment
Les établissements de paiement et l’inclusion financière en Afrique
A l’aube d’une nouvelle décennie, plusieurs pays font du développement numérique leur devise qui leur permettra d’occuper les premiers rangs d’une économie qui carbure aux défis et à l’innovation.
Quand on sait que le nombre de comptes d’argent mobile a franchi le cap du milliard en 2019[1] à l’échelle mondiale, tout prétend à croire qu’un pont a été créé entre la sphère financière et la sphère numérique, créant ainsi une industrie révolutionnaire à part entière.
Les établissements de paiement font partie de cette industrie qui compte une multitude de fournisseurs chevronnés, avec un large éventail de capacités opérationnelles et d’une gamme complète de produits. Ces établissements sont destinés à fournir des services de paiement alors qu’auparavant seuls les établissements de crédit pouvaient en proposer.
Un levier pour l’inclusion financière
Pourquoi s’intéresser de près à ces nouveaux acteurs ? La réponse à cette question est assez évidente étant donné qu’ils permettent d’une part de compléter et renforcer l’offre du secteur bancaire et d’autre part d’insuffler une nouvelle dynamique au marché des paiements ce qui favorisera la réduction de la circulation du cash et le développement de l’inclusion financière.
Ces nouveaux acteurs, notamment dans le cadre de la transformation digitale, offrent une opportunité unique pour intégrer des solutions adaptées aux besoins des populations non bancarisées, souvent exclues du système financier traditionnel.
Analyse comparative de la réglementation en Afrique
La mise en place d’un cadre réglementaire est sans doute indispensable pour assurer le développement et le bon fonctionnement des établissements de paiement. Bien que ça soit avec du retard, une réglementation spécifique aux établissements de paiement[2] a récemment vu le jour en Tunisie permettant leur développement. A ce propos, la Banque Centrale de Tunisie (BCT) vient d’annoncer le 27 mars 2020 la délivrance des premiers agréments à deux établissements de paiement.
Le tableau ci-dessous apporte un éclairage comparatif de la réglementation tunisienne par rapport à celles adoptées par d’autres pays africains (Kenya, zone de l’UEMOA et Maroc), en nous limitant aux principales rubriques de cette réglementation.
Tunisie[3] | Kenya[4] | UEMOA[5] | Maroc[6] | |
Année de publication des réglementations | 2018 | 2011 & 2014 | 2015 | 2016 |
Autorité qui délivre l’agrément | Banque Centrale de Tunisie (BCT) | Central Bank of Kenya (CBK) | Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) | Bank Al Maghreb (BAM) |
Catégorisation des établissements | Etablissement de paiement | Prestataire de services de paiement / Emetteur d’instrument de paiement / Emetteur de monnaie électronique / Petit émetteur de monnaie électronique | Etablissements de monnaie électronique (EME) / Autorisation pour les systèmes financiers décentralisés (SFD) | Etablissement de paiement |
Processus d’obtention de l’agrément | Dépôt de la candidature à travers un dossier de demande d’agrément / Obtention de l’agrément après validation par les autorités | |||
Capital minimum (équivalent en Euro) | TND 5 millions (Doit être libéré en (EUR 1.596.236) | -Prestataire de services de paiement : 5.000.000 KES (EUR 50.000) – Emetteur d’instrument de paiement : 50.000.000 KES (EUR 500.000) -Emetteur de monnaie électronique : 20.000.000 KES (EUR 200.000) -Petit émetteur de monnaie électronique : 1,000,000 KES (EUR 10.000) | FCFA 300.000.000 (EUR 457.915) avec possibilité de relèvement du montant par la Banque centrale, selon son appréciation du profil de risques | – Pour les établissements de paiement agréés en vue d’effectuer tous les services de paiement : 10.000.000 DH (EUR 900.000) – Pour les établissements de paiement agréés en vue d’effectuer exclusivement les opérations de transfert de fonds : 6.000.000 de DH (EUR 540.000) |
Fonds propres | N/A | – Les exigences en fonds propres ne sont pas déterminées ou tout au moins le capital minimum | – Être supérieurs ou au moins égaux au – Être égaux ou supérieurs à 3% de son | Ratio minimum de fonds propres de 12 % entre le total de leurs fonds propres et le total de leurs risques pondérés |
Protection des clients et de leurs avoirs | Obligation de contracter une assurance de responsabilité | Compte de cantonnement : Obligation d’utilisation d’un | – Compte de cantonnement : compte où les avoirs du client sont déposés et protégés en cas de faillite de l’établissement | – Mise en place d’un compte de cantonnement – Mise à disposition du public de toutes les informations sur les conditions qu’ils appliquent à leurs opérations |
Gouvernance | -Dispositif de contrôle interne -Dispositif adéquat de gestion du risque (liquidité, opérationnels et cybernétique) -Dispositif de gouvernance efficace -Plan de Continuité des Activités (PCA) | – Dispositif de contrôle interne et de dispositifs de gestion des risques | Dispositif de contrôle interne et de dispositifs de gestion des risques | – Dispositif de contrôle interne et de dispositifs de gestion des risques adaptés à la nature, la complexité et au volume de leur activité |
AML/KYC | -Système d’Information adéquat -Dispositif LAB-FT | – Pas d’allègement du KYC | – Pas d’allègement du KYC mais pour un client non-identifié, possibilité de mise à disposition d’un montant total mensuel maximum de EUR 305 en monnaie électronique – Dispositif LAB-FT | Obligation de mise en place de systèmes informatiques permettant la traçabilité des fonds, le recensement des opérations et l’identification de transactions suspectes |
Réseau d’agents | Conditions de nomination / Périmètre de mission/ Relation contractuelle/ Notifications à la BCT/Supervision | – Toute personne physique ou morale | Distributeurs : SFD, institutions financières non bancaires (comme les Offices des Postes, les sociétés d’assurance), entreprises privées non financières … Conditions de supervision des agents | Conditions de nomination / Périmètre de mission/ Relation contractuelle/ Notifications à la BAM/ Responsabilités / Obligation au secret |
Plafond de solde des comptes de paiement | -Pour le compte niveau 1 : TND -Pour le compte niveau 3 : TND 5.000 | N/A | Avoirs en monnaie électronique plafonnés à FCFA 1.998.936 FCFA (EUR 3049) auprès d’un même établissement émetteur | -Pour le compte niveau 1 : DH 200 (EUR 17) -Pour le compte niveau 2 : DH 5.000 (EUR 447) -Pour le compte niveau 3 : DH 20.000 (EUR 1788) |
On note que la catégorisation des établissements diffère d’un pays à un autre même si la plupart des pays ont intégré dans leur règlementation la notion de « établissement ou émetteur de monnaie électronique ».
En Tunisie, l’AMOA joue un rôle essentiel dans l’accompagnement des établissements financiers pour s’aligner avec ces nouvelles normes réglementaires tout en répondant aux exigences croissantes de bonne gouvernance.
Catalyseurs de l’inclusion financière et moteur d’innovation
Avec plus de 60 millions[7] de comptes de monnaie électronique ouverts dans la région de l’UEMOA (2018) qui a connu une hausse de 24,6% par rapport à l’année 2017, l’argent mobile est en train de se généraliser en favorisant l’inclusion financière dans la plupart des pays à faible revenu.
Ces établissements jouent également un rôle clé dans le financement des PME, en facilitant l’accès à des services financiers adaptés à leurs besoins spécifiques. Dans le secteur de la microfinance, ils apportent des solutions pratiques qui permettent d’atteindre les populations les plus éloignées.
En Tunisie, 62%[10] des Tunisiens considèrent que le coût des services financiers est inaccessible et 63% de cette population estiment que ces derniers ne correspondent pas à leurs besoins. En réponse à ce problème majeur, l’intervention des établissements de paiement, renforcée par des initiatives de formation pour les acteurs du secteur, pourrait accroître l’usage et l’accès aux services financiers.
Un avenir numérique prometteur
Pour conclure, l’innovation numérique est en train de transformer le paysage des paiements et l’activité bancaire d’une manière générale. Un développement amplificateur pour la promotion de l’inclusion financière qui doit être accompagné forcément par le développement d’une infrastructure adéquate qui permet l’adoption rapide de ces services financiers innovateurs.
Dans ce contexte, les acteurs comme les cabinets de formation et les experts en transformation digitale doivent collaborer étroitement avec les régulateurs et les établissements financiers pour maximiser l’impact de ces innovations.
[1] Source : Le point sur le secteur : Les services d’argent mobile en 2019, GSMA
[2] Circulaire Banque Centrale de Tunisie n°2018-16
[3] CIRCULAIRE DE LA BANQUE CENTRALE DE TUNISIE N° 2018 -61
[4] THE NATIONAL PAYMENT SYSTEM ACT, 2011 / National Payment System Regulations 2014
[5] INSTRUCTION N°008-05-2015 REGISSANT LES CONDITIONS ET MODALITES D’EXERCICE DES ACTIVITÉS DES EMETTEURS DE MONNAIE ELECTRONIQUE DANS LES ETATS MEMBRES DE L’UNION MONETAIRE OUEST AFRICAINE (UMOA)
[6] Loi 103–12 — Bulletin Officiel n°6340 (05/03/2015) / Circulaire relative aux Établissements de Paiement (C6.W16) / Circulaire relative aux Services de Paiement (C7.W16)
[7] BCEAO : RAPPORT ANNUEL SUR LES SERVICES FINANCIERS NUMERIQUES DANS L’UEMOA, 2019
[8] Communications Authority of Kenya (CA)
[9] 2019 FinAccess Household Survey Report | CBK
[10] ETUDE SUR L’INCLUSION FINANCIERE EN TUNISIE, 2018
[11] ETUDE SUR L’INCLUSION FINANCIERE EN TUNISIE, 2018
Meriem Cherif est Consultante chez AMEF Consulting. Elle a rejoint l’équipe au début de l’année 2019. Elle intervient dans la réalisation de missions de conseils et d’études, axées plus particulièrement sur la Finance Inclusive & Microfinance.
Bonsoir
pourrais je avoir une etude plus exhaustive?