
- 19 septembre 2022
- Jilani Ben Lagha - AMEF Consulting
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LA MICROFINANCE ISLAMIQUE : OPPORTUNITE ET CONTRAINTES
1- Genèse de la Microfinance
Définition de la Microfinance par le CGAP
Le CGAP2 (Consultative Group to Assist the Poor), qui est le plus grand think tank au monde concerné par l’avancement de la microfinance, définit la microfinance comme « la fourniture d’un ensemble de produits financiers à tous ceux qui sont exclus du système financier classique ou formel ».
Les Premières Formes de Microcrédit à Travers l’Histoire
Historiquement, différentes formes de microcrédit informel ont existé sous forme de cercles de solidarité tels que les « tontines » en Afrique de l’Ouest, les « tandas » au Mexique ou encore les « Jamiia » en Égypte.
L’Origine de la Microfinance Moderne
L’apparition du microcrédit moderne est attribuée à Muhammad Yunus, fondateur de la Grameen Bank, qui a révolutionné le concept en plaçant la solidarité au centre du crédit.
Reconnaissance Internationale de la Microfinance
En 2005, l’ONU a proclamé l’année internationale du microcrédit, et en 2006, Muhammad Yunus et la Grameen Bank ont reçu le Prix Nobel de la Paix pour leur impact social.
2- Fondements et principes de la microfinance islamique
La microfinance islamique s’inspire de la même source que la finance islamique. Bien que n’ayant pas la même cible, les deux concepts se complètent et convergent en matière de fondements et de principes basés sur les préceptes du Coran et de la Chariaa.
La Sira Nabaouia (comportement du prophète) est pleine d’exemples incitant l’individu à la création et au développement de petits projets au lieu de s’adonner à l’aumône.
Le Coran encourage aussi à l’investissement à travers des petits financements et incite à les formaliser quelle que soit leur importance « … Ne vous lassez pas d’écrire la dette, ainsi que son terme, qu’elle soit petite ou grande, c’est plus équitable auprès d’Allah et plus droit pour le témoignage et plus susceptible d’écarter les doutes. Mais s’il s’agit d’une marchandise présente que vous négociez entre vous, dans ce cas, il n’y a pas de péché à ne pas l’écrire. » Albakarah 282
Ainsi, les principes de la microfinance islamique sont les mêmes que ceux que nous retrouvons dans la finance islamique à savoir :
- L’interdiction du prêt à intérêt (Riba)
Conformément aux préceptes de la Chariaa, qui interdit de réaliser un quelconque rendement sur les opérations financières (intérêts), les produits de microfinance islamique ont un taux de remboursement fixe sans possibilité de réaliser un bénéfice sur le taux d’intérêt.
- L’interdiction des actifs et activités illicites
La microfinance islamique a une obligation de responsabilité sociale. Ainsi, certains secteurs d’activité, prohibés du point de vue éthique et de la Chariaa, sont exclus du financement. C’est le cas des jeux de hasard, du tabac, de l’alcool, de l’élevage porcin, de l’armement, ou encore de la pornographie.
- L’existence d’un actif sous-jacent
L’Islam perçoit l’argent comme étant un instrument concourant à la création de valeur et à la facilitation des échanges qui ne peut en soi faire l’objet d’un échange. Le rôle attribué à l’argent en Islam est en effet bien explicité comme un capital potentiel ne pouvant devenir réel qu’après association avec une autre ressource, en l’occurrence le travail et l’effort, dans un objectif de créer une activité productive. Il ne représente qu’un simple moyen d’échange, sans aucune utilité intrinsèque. L’interdiction du commerce d’argent écarte par conséquent tout profit tiré d’une transaction purement financière. C’est pourquoi il ne peut être acheté et vendu comme un produit, et que la valeur de l’argent non adossé à des actifs ne peut augmenter avec le temps
- L’interdiction de l’incertitude (GHAHAR) et la spéculation (MAYSIR)
La prise de risque n’est pas interdite en Islam, au contraire, elle est même encouragée car, en plus de la marge commerciale et en l’absence de taux d’intérêt, c’est la seule source reconnue de rentabilité. L’incertitude ou la dissymétrie dans les termes d’un contrat sont cependant prohibées car elles sont source de spéculation. Il est ainsi interdit d’acheter ou de vendre un bien dont le prix ou les caractéristiques seraient définis ultérieurement.
- Le partage des pertes et des profits (3P)
En partageant les risques entre les investisseurs et les clients, la microfinance islamique devient plus intéressante pour les emprunteurs qui n’assumeront pas seuls la totalité du risque comme dans de nombreux produits conventionnels.
Ces principes sont derrière les efforts d’ingénierie financière que la microfinance islamique (MFI) est appelée à effectuer en permanence. En effet si par exemple la microfinance conventionnelle trouve sa réussite dans le prêt d’argent avec marge qu’elle offre à sa clientèle, la MFI ne peut en aucun cas prêter de l’argent avec une contrepartie quelle que soit sa nature au risque de tomber dans le Riba. Cette contrainte constituant l’un des plus importants freins au développement de la microfinance islamique, il incombe donc aux ingénieurs financiers de chercher dans les sources charaiques et la jurisprudence des juristes (FOKAHA’A) des solutions comme la Mourabaha et le Salam.
Les principes de tangibilité et de partage des pertes et des profits (3P) sont derrière la conception des produits innovants qui marquent la distinction de la microfinance islamique comme la Mudharaba, la Mucharaka, l’Ijara et l’Istissna’a
Sur un autre plan et sans aucune entrave aux principes susmentionnés, la microfinance islamique s’est avérée bien capable de développer d’autres services adaptés aux besoins des petits commerçants et des professionnels exclus de la finance conventionnelle, comme la micro-assurance à travers le Takaful et la micro épargne à travers les dépôts participatifs.
S’agissant d’un domaine encore naissant, qui se base sur l’ingénierie financière perpétuelle, les chercheurs ont conçu les financements triangulaires faisant intervenir simultanément une IMF islamique, un client et un fournisseur de façon à garantir la tangibilité des microcrédits d’une part et à alléger les risques de contrepartie d’autre part. Cette façon de financer a permis là où elle a été appliquée de booster les projets de chaine de valeur agricoles.
3. Comparaison entre Microfinance Conventionnelle et Microfinance Islamique :
Microfinance conventionnelle | Microfinance islamique |
Prêt à intérêt | Prêt sans intérêt : kardh hassen Salem : crédit de campagne, avance sur marchandise avec marge de profit |
Micro-leasing | Micro Ijara |
Fonds de roulement / financement de stock | Mourabaha – Mourabaha triangulaire |
Participations – joint-venture : rarement pratiquées | Mudharaba avec prise de risque Mucharaka dégressive : pas d’intérêt mais partage de risque |
Micro-assurance | Micro – Takaful |
Micro-épargne | Compte participatif |
Rééchelonnement avec intérêt | Rééchelonnement sans contrepartie sauf cas de Ijara |
Taux d’intérêt variable | Taux fixe sur la durée du financement |
4- Le développement de la microfinance islamique
Ces dérives ont été une opportunité pour les institutions de microfinance islamiques de prendre les rênes. En effet les IMF islamiques devraient La microfinance islamique a connu ces dernières années un développement remarquable pour diverses raisons à la fois exogènes et endogènes
Les observateurs s’accordent sur le fait que la microfinance conventionnelle présente, sous contrainte de performance, un risque de dérives par rapport aux principes de son apparition. En effet, considérée comme étant un moyen de lutte contre la pauvreté dans les pays en développement, à travers le financement des activités génératrices de revenus pour les ménages pauvres, les IMF conventionnelles sont souvent mises en doute et l’on s’interroge sur la population réellement touchée ainsi que sur la difficile conciliation entre à la fois des objectifs sociaux et des objectifs de pérennité des IMF.
On se rend compte dans plusieurs cas que la priorisation des performances financières a conduit ces IMF vers une approche sélective des clients les plus aisés au détriment des plus pauvres. Mieux encore on assiste dans certains pays à une application de taux de crédit qui avoisinent ceux de l’usure qui ne peuvent en aucun cas être bénéfiques pour les populations démunies. Les travaux de Subhabrata et Laurel (2016) ont trouvé qu’au lieu d’améliorer les revenus des populations défavorisées, la microfinance conventionnelle a eu pour conséquence de détériorer davantage la situation des personnes démunies en accroissant leur niveau d’endettement.
profiter en même temps de la bonne adaptation de leurs produits aux besoins des populations pauvres et exploiter en parallèle le fort potentiel d’expansion offert par une large proportion de la population des pays à majorité musulmane qui refusent les services financiers conventionnels.
Selon le Rapport 2017 de World Bank Group, sur les 1,6 milliards de Musulmans que compte le monde, 14% seulement ont recours aux banques.
Le Kardh hassen, le taux fixe et les rééchelonnements à taux zéro sont des atouts majeurs et attractifs qui font de la microfinance Islamique un fort levier de lutte contre la pauvreté et d’incitation à l’inclusion.
C’est ainsi dire que la microfinance islamique semble mieux sauvegarder les principes et la raison d’être de la microfinance de façon générale, principes que les IMF classiques ont l’air d’abandonner faute d’une parfaite conciliation entre l’objectif de rentabilité et celui d’assurer le bien-être de clients appartenant à des classes socioéconomiques faibles.
Fidèle aux principes de la finance islamique et jouissant des atouts susmentionnés, la microfinance islamique, malgré sa récente apparition, a pu prendre une place dans le paysage financier international.
En 2013, la microfinance islamique représentait moins de 1 % des transactions de microfinance dans le monde. Elle occupe une place minime dans le paysage micro-financier mondial, mais a tendance à croître depuis plusieurs années. D’après une étude du CGAP, presque un tiers des IMF déclarent avoir lancé des activités de microfinance islamique sur la période 2013-2018.
Sur le plan géographique, 64 % des institutions qui fournissent des produits de microfinance islamique se trouvent en Asie de l’Est et Pacifique et 28 % au Moyen-Orient et Afrique du Nord. La microfinance islamique concerne 1,28 millions de clients résidant dans 19 pays, en majorité au Bangladesh, au Soudan et en Indonésie.
La microfinance islamique semble être un incubateur du développement socioéconomique du continent africain. D’ailleurs, selon une étude du World Bank Group (2017), la finance islamique peut contribuer au développement économique, étant donné son lien direct avec les actifs physiques et l’économie réelle.
5. Points Faibles et Entraves
Limites de la Microfinance Islamique :
Transparence et Coûts
Le produit Mudharaba impose une transparence sur les bénéfices et pertes, ce qui peut entraîner des coûts élevés pour les micro-entrepreneurs.
Pratiques Controversées de la Mourabaha
Certaines pratiques de la Mourabaha sont critiquées pour ressembler à des prêts à intérêt déguisés.
Complexité Administrative
Les formalités liées aux exigences charaïques peuvent ralentir le processus de financement.
Perspectives d’Amélioration
La digitalisation des processus et l’introduction de moyens de paiement électroniques pourraient simplifier l’accès aux financements islamiques.
Article instructif. Merci