
- 7 septembre 2019
- Jilani Ben Lagha - AMEF Consulting
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La Finance Islamique en Tunisie : des acquis malgré un cadre législatif qui piétine
Aperçu Historique
Rappelons tout d’abord que la Finance Islamique est un concept global qui couvre les activités financières qui respectent les principes de la Charia et qui s’étend généralement aux domaines des banques, des institutions de Microfinance, des sociétés de leasing (Ijara), des compagnies d’assurance (Takaful), des Sukuks Islamiques et des fonds d’investissements islamiques.
Pour le cas de la Tunisie, la Finance Islamique a fait sa première apparition au début des années 80 dans le domaine bancaire avec la création en juin 1983 de la banque offshore dénommée BEST Bank (Beit Ettamouil Saoudi Tounsi) entre le Cheikh Salah Abdallah Kamel et l’Etat Tunisien. Cette alliance était réalisée dans le cadre de l’exécution du projet géant immobilier d’assainissement et d’aménagement de la zone des Berges du Lac de Tunis.
Cette apparition était donc une simple action ponctuelle qui ne témoigne d’aucune orientation stratégique de la part du Gouvernement. D’ailleurs, aucun cadre législatif spécifique à la Finance Islamique n’a accompagné la création de la BEST Bank qui a poursuivi ses activités dans le cadre d’une loi hybride (loi n°85-108 du 6 décembre 1985) qui limite son champ d’action et freine son expansion.
Il a fallu une quinzaine d’années pour qu’apparaisse une deuxième expérience dans le domaine de l’Ijara. Il s’agit de la constitution en avril 1999 de la société BEST LEASE qui exercera à son tour en l’absence de tout cadre législatif qui s’intéresse de près ou de loin à la Finance Islamique.
La fin de l’année 2009 a vu l’apparition de la première banque Islamique résidente autorisée à exercer sans contraintes en tant que banque islamique dans le cadre des lois régissant les banques conventionnelles, mais toujours en l’absence d’un cadre législatif qui règlemente le domaine de la Finance Islamique. C’est la Banque Zitouna.
Il est bien de noter que jusqu’à la fin de l’année 2009, la part de marché de la Finance Islamique, en termes de dépôts collectés, n’arrive pas à dépasser 1% du marché bancaire. Ceci incombait, tout d’abord au fait que la BEST Bank avait l’interdiction de dépasser ce seuil (loi n°85-108), ensuite parce que la Banque Zitouna n’a démarré ses activités qu’en février 2010.
Les Innovations de l’Après-Révolution
Après la révolution, la Tunisie s’est lancée dans plusieurs chantiers de réformes économiques. Parmi elles, celle du secteur bancaire et financier dont l’objectif étant de moderniser le secteur et de combler les vides réglementaires existants, notamment celui concernant la Finance Islamique.
Sur le Plan Fiscal
Les lois de finances pour les années 2012, 2014 et 2016 ont institué le régime fiscal des différents instruments de financement islamique. Il s’agit des contrats d’Ijara, de vente Mourabaha, d’Istisna’a, de Salam, de Moudharaba et de Sukuks.
A cet égard, le ministère des finances a publié le 31 mars 2016, la note commune n°28-2016 qui constitua un champ d’application de grande importance pour la Finance Islamique. En effet, cette note avait le mérite d’officialiser les instruments utilisés jusque-là par les 3 opérateurs en Finance Islamique (Al Baraka Bank – ex-BEST Bank –, Banque Zitouna et BEST Lease) et de les reconnaitre comme étant des produits bancaires soumis aux mêmes droits et obligations que ceux de la finance conventionnelle.
Apports pour l’Établissement Financier
- Les avantages fiscaux dont bénéficie le client en matière de TVA, de taxes sur le chiffre d’affaires et de droits d’enregistrement sont transmis à l’établissement financier.
- La retenue à la source n’est pas due sur les acquisitions objet du contrat de vente Mourabaha réalisées pour le compte des personnes non habilitées à effectuer la retenue à la source.
- Les produits sur opérations, exceptées les commissions, réalisés dans le cadre des contrats de financements islamiques, autres que celui d’Ijara sont exonérés de la TVA.
Apports pour le Client
- Droits d’enregistrement :
- Contrat Ijara : Enregistrement au droit fixe de 20 dinars par page de chaque copie d’acte, en sus du droit fixe de 8 dinars en contrepartie des prestations de services par la Conservation de la Propriété Foncière.
- Contrat Mourabaha : Enregistrement au droit fixe de 20 dinars par page de chaque copie d’acte avec exonération du droit d’inscription foncière, le cas échéant.
- Contrat Istisnaa : Enregistrement au droit fixe de 20 dinars par page de chaque copie d’acte avec exonération du droit d’inscription foncière, le cas échéant.
- Contrat Salam : Exonération des droits d’enregistrement.
- Contrat Moudharaba : Enregistrement au droit fixe de 20 dinars par page de chaque copie d’acte.
- Taxe à la Valeur Ajoutée (TVA) :
- La TVA due sur le montant des loyers objet des contrats Ijara et la TVA ayant grevé les acquisitions par l’établissement financier pour les autres contrats et transmise à l’identique au client est totalement déductible pour l’assujetti total à la TVA et partiellement déductible pour l’assujetti partiel à la TVA.
- Retenue à la source au titre de l’IS et au titre de la TVA :
- Les montants payés en exécution des contrats de financement islamique susvisés ne sont soumis ni à la retenue à la source au titre de l’IS ni à la retenue à la source de 25% au titre de la TVA.
Régime Fiscal des Opérations Objet de Sukuks
- Les contrats relatifs aux opérations immobilières sont enregistrés au droit fixe de 20 dinars par acte.
- Les revenus de capitaux mobiliers et le bénéfice net des Sukuks et leurs revenus ainsi que les produits de liquidation des Sukuks sont soumis à la retenue à la source conformément au droit commun ou aux conventions de non-double imposition.
Sur le Plan Réglementaire et Législatif
Au moins 4 lois fondamentales ont vu le jour depuis 2013 et sont venues consolider les acquis apportés par les lois de finances consécutives à l’année de la Révolution :
- Loi n°2013-30 du 30 juillet 2013, relative aux Sukuks.
- Loi n°2013-48 du 9 décembre 2013, relative aux fonds d’investissement islamiques.
- Loi n°2014-47 du 24 juillet 2014, amendant et complétant le code des assurances (Assurance Takaful).
- Loi 2016-48 du 11 juillet 2016 relative aux banques et aux établissements financiers.
Impact des Réformes
Malgré l’absence persistante d’un véritable cadre législatif propre au domaine bancaire islamique, faute de textes d’application relatifs à la loi bancaire n°2016-48, la Finance Islamique a réalisé d’importantes avancées :
- Une croissance régulière de la part de marché qui passa entre 2010 et 2018 à 6% pour les financements alloués et 12% pour le nombre des agences bancaires créées.
- Une dynamique dans le domaine de la formation et de l’enseignement supérieur.
- La naissance d’une véritable prise de conscience de la société civile avec la création de plusieurs associations visant à promouvoir la Finance Islamique.

Jilani Ben Lagha est Consultant-Partenaire chez AMEF Consulting, intervenant principalement en tant qu’Expert en Finance Islamique.