
- 3 janvier 2020
- Dhafer Saidane - Professeur SKEMA Business School
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L’ECO peut-il augmenter le risque systémique dans l’UEMOA ?
La crise des subprimes de l’été 2007 a entraîné un séisme qui a fait trembler la finance internationale. La fragilité du système financier international était en partie imputable à la faillite de Lehman Brothers en Septembre 2008. La faillite de cette grande banque a remis en cause le concept de « too big to fail ». Les faillites de grosses banques entraînant une crise financière par l’intermédiaire de l’interconnectivité, l’impact d’une crise de la dette, les changements brusques des taux d’intérêt et la dérégulation sont quelques causes de la vulnérabilité du système bancaire. Or à la suite de cette crise, les banques africaines ont commencé à remplir le vide laissé par les banques des pays riches en étendant leurs opérations à l’étranger.
Le président Emmanuel Macron vient d’annoncer le lancement de l’ECO, nouvelle monnaie d’Afrique de l’Ouest après le CFA. L’ECO peut stimuler l’interconnectivité bancaire et l’existence d’un risque systémique dans les pays de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) si des mesures réglementaires ne sont pas observées.
Bien avant l’avènement de l’ECO de nouvelles tendances se dessinaient déjà. Elles ont conduit à une hausse des relations bancaires entre pays en développement et à une régionalisation Sud-Sud des opérations bancaires internationales. De ce fait les modèles bancaires africains s’emballent à la recherche de leur nouvelle taille critique. Ils sont mieux définis en termes de lignes de métiers mais croissent de manière tous azimuts. Par exemple, entre 2009 et 2010 les bénéfices nets, le total du bilan et le nombre de comptes de Coris Bank – une banque panafricaine – ont crû respectivement de 112%, 64% et 122%. Entre 2016 et 2017 les mêmes indicateurs ont crû respectivement de 20%, 28% et 14%. Des taux de croissance exceptionnels qui visent une taille critique qui peut devenir systémique.
Notons que le marché bancaire africain est le second marché au monde en termes de croissance et de profitabilité. Les données de McKinsey Global Banking Pools (2018) projettent une croissance annuelle des revenus de l’activité bancaire sur le continent d’environ 8,5% entre 2017 et 2022, ce qui génèrera un chiffre d’affaires de près de 129 milliards de dollars dont 53 milliards proviendraient d’ailleurs de la banque de détail[1].
Face à cette situation marquée par une croissance exceptionnelle de l’activité bancaire, il conviendrait de s’interroger sur le niveau de risque systémique auquel les places financières africaines pourraient être exposées ainsi que les réformes à envisager pour favoriser un modèle de banque stable, contribuant au financement du développement.
Le cas de l’espace UEMOA est relativement intéressant pour cette analyse dans la mesure où c’est une union monétaire dans laquelle les banques sont soumises à la supervision d’un régulateur communautaire : la Banque Centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et de la Commission Bancaire. Les banques sont dès lors soumise à la même règlementation. Le secteur bancaire de cette région a été dominé par les banques étrangères en l’occurrence les banques françaises depuis les indépendances. Au cours de ces dernières années, l’on a enregistré une pénétration des banques régionales en provenance principalement du Nigeria, du Maroc et de la Lybie. La proportion de banques panafricaines qui était moins de 30% en 2000 est estimée à un peu plus de 60% en 2017. Cette expansion de banques régionales peut s’expliquer, d’une part, par la recherche du profit, la zone ayant enregistré une croissance économique de plus de 5% depuis 2012. D’autre part, les banques opérant dans cette union ont droit à un agrément unique qui donne à une institution bancaire, le droit d’avoir une présence active dans un autre état membre de l’union, sans devoir immédiatement constituer du capital. Par ailleurs, les règles prudentielles de capital minimum du régulateur régional, motivent les banques à s’étendre pour optimiser leur capital. Les banques membres des unions monétaires sont donc plus motivées à se déployer.
Avec mes collègues, Babacar Sene et Désiré Kanga nous avons réalisé une étude à partir de 82 établissements de crédit composés de groupes bancaires panafricains et de banques de taille moyenne sur la période allant de 2000 à 2017. L’estimation des probabilités de défaut jointes par la méthode CIMDO (Consistent Information Multivariate Density Optimizing) et l’utilisation de la méthode des clusters, basée sur la notion d’empreinte géographique mesurée par le nombre de pays où la banque est présente, constituent une nouveauté dans le champ analysé. Elle montre que le système bancaire actuel n’est pas confronté à un risque systémique. Toutefois, si la solidité financière des grands groupes panafricains se détériore on pourrait assister à des effets de contagion qui pourraient fragiliser l’union. En effet du fait de son évolution très rapide notamment en termes de taille, une détérioration de la solidité financière des grands groupes panafricains peut engendrer des effets de contagion préjudiciables à la stabilité financière de la zone.
La coopération en matière de surveillance transfrontalière est donc nécessaire. Elle a déjà commencé, mais une collaboration renforcée et suivie est essentielle. L’expansion rapide des banques panafricaines pose des problèmes dont les cinq suivants.
– Surveillance qui, s’ils ne sont pas résolus, peut augmenter les risques systémiques. La capacité de surveillance est déjà limitée et manque de ressources.
– Transparence et de la divulgation, de la bonne gouvernance, une surveillance prudentielle solide et un cadre juridique et réglementaire qui soutient des supervision globale et gestion de crise, notamment dans les pays d’accueil. Aptitude et convenance des propriétaires et actionnaires, en particulier des sociétés de portefeuille bancaires, n’est pas toujours pleinement évalué et dans certains cas, les structures de propriété sont opaques.
– Absence d’une norme comptable unique à travers le continent rend l’évaluation des situations globale des banques difficiles. Et dans de nombreux pays, la surveillance de la conduite des affaires commence seulement maintenant.
– Absence de surveillance réglementaire des sociétés de portefeuille bancaires et leur supervision sur une base consolidée dans certaines juridictions d’origine doit être traitée.
– Protocoles
d’accord garantissant un échange complet d’informations sont nécessaire entre
toutes les maisons et les hôtes.
[1] MC Kinsey (2018) Roaring to life: Growth and innovation in African retail banking

Dhafer SAIDANE est Docteur en économie – HDR (Paris 1 –Sorbonne) est Professeur à SKEMA Business School.
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