- 17 janvier 2021
- Meriem Cherif - AMEF Consulting
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Le paiement mobile et l’inclusion financière en Afrique
Par Meriem Cherif
Consultante chez AMEF Consulting
Le paiement mobile est en train de devenir un moyen de paiement usuel qui nécessite une évolution continue des modèles de gestion et des technologies. Caractérisé par son utilité, sa simplicité et sa rapidité, le paiement mobile, un bénéfice tangible de la révolution numérique, offre un véritable potentiel d’intégration financière.
Les services de paiements mobiles sont porteurs d’une double promesse. En effet, le paiement mobile pourrait, d’une part, être le moteur des progrès en matière d’inclusion financière pour toute personne exclue ou mal desservie en termes de prestations bancaires de base, et d’autre part, constituer une réelle opportunité économique pour les acteurs de ce marché.
1. Typologie des marchés de paiement mobile :
Modèles économiques de paiement mobile
Il existe plusieurs modèles économiques dans les services de paiement mobile. Le tableau ci-dessous apporte un éclairage comparatif des principaux modèles observés en Afrique.
Tableau comparatif des modèles
Modèle | Modèle « Banque centré » Bank-led | Modèle « Opérateur centré » MNO-led | Modèle « collaboratif » |
Caractéristiques | – Présence bancaire significative – Se réfère à un système dans lequel les banques sont le principal fournisseur de services financiers numériques aux utilisateurs finaux. Ce système est parfois imposé par la législation nationale | – Marché dominé par les transferts mobiles – L’opérateur télécom fournit directement des services financiers à ses clients. Les entités non bancaires doivent généralement se conformer à des critères définis par la législation nationale et appliqués par les régulateurs | – Les banques, opérateurs télécoms et autres intermédiaires financiers collaborent pour offrir les services et se partagent les revenus |
Zone de développement | – Modèle plus adapté aux pays où le taux de bancarisation est déjà élevé | – Modèle plus adapté dans les régions (ou pays) à faible taux de bancarisation | – Ce modèle serait une bonne alternative à d’autres modes de paiement dans des zones faiblement bancarisées – Un modèle qui peut être aussi adapté à un environnement bancaire développé |
Exemple de marché | Afrique du sud / Botswana / Nigéria | Kenya / Ouganda /Tanzanie | UEMOA |
Plusieurs éléments de la chaîne de valeur des services financiers mobiles tels que la tenue de compte, l’émission de la monnaie électronique, la gestion d’un réseau d’agents… constituent des composantes clés pour le développement de ces modèles.
Notons toutefois que le contexte réglementaire local peut dicter fortement le choix du modèle.
2. Inclusion financière et paiement mobile : que disent les chiffres ?
Statistiques clés
469[1] millions de comptes mobiles sont enregistrés en Afrique subsaharienne. Une croissance impressionnante qui présente près de la moitié de l’industrie mondiale du paiement mobile.
Au cours de l’année 2019, le nombre de comptes de monnaie électronique dans l’UEMOA a atteint 76,9 millions contre 62,9 millions en 2018, soit une hausse de 22,2%.
Le taux d’activité des utilisateurs dans l’UEMOA qui représente le pourcentage de comptes de monnaie électronique actifs, à savoir un compte ayant enregistré une opération au moins au cours des 3 derniers mois, s’est établi à 43,6% en 2019, soit une hausse de 5,9 points par rapport à 2018.
Dynamisme en Afrique subsaharienne
Une évolution qui traduit une dynamique dans l’utilisation des services financiers numériques. De ce fait, la détention de comptes d’argent mobiles permettra aux populations vulnérables d’accéder à des services à grande portée tels que l’éducation, la santé, les services financiers, l’emploi…
L’Afrique subsaharienne demeure la région du monde où le Mobile Money est le plus dynamique. Pour l’année 2019, la zone a enregistré 23,8 milliards de transactions sur les 37,1 milliards comptabilisés au niveau mondial, soit 64,15% du volume des transactions mondiales (GSMA).
Accès accru aux services financiers
Les pays de la zone UEMOA ont connu globalement une évolution des indicateurs d’accès aux services financiers.
En effet, le taux global de pénétration démographique des services financiers, qui mesure le nombre de points de services disponibles pour 10 000 adultes, a connu une hausse passant de 57 points de services pour 10 000 adultes en 2018 à 96 points de services pour 10 000 adultes en 2019.
Cette hausse s’explique principalement par l’augmentation des infrastructures de distribution des services de monnaie électronique. En effet, la multiplication des points de services a fortement contribué à l’amélioration de l’accès des clients aux services financiers mobiles.
Réseau d’agents en chiffres
De plus, en ce qui concerne la distribution sur le continent africain, ce dernier comptait 3,4 millions d’agents en 2019, dont 1,9 million étaient actifs pendant 30 jours.
En termes de portée, cela se traduit par environ 340 points de vente d’agents pour 100 000 adultes africains, contre seulement 6 succursales bancaires et 13 guichets automatiques pour 100 000 adultes africains.
Ce vaste réseau de distribution a été essentiel pour numériser 124 milliards de dollars sur le continent en 2019[2].
Interopérabilité des services financiers
Une interopérabilité hors pair avec des banques et de tierces parties a constitué le vecteur de croissance des paiements numériques, ce qui a fait forger un écosystème assez robuste. En cette même année, plus de 3 marchés africains d’argent mobile sur 4 étaient interopérables[3].
3. Services de paiement mobile : coup de pouce pour l’inclusion financière dans les zones rurales
Importance du paiement mobile dans le milieu rural
Dans les pays en développement, 500 millions de petits paysans dépendent de l’agriculture pour vivre et en Afrique subsaharienne, environ 54%[4] de la population active travaille dans l’agriculture. Cependant, le moyen de paiement le plus utilisé dans les zones rurales est l’argent liquide.
Problème d’accès aux services financiers
De plus, la majorité des petits agriculteurs sont non bancarisés et ont un faible accès aux services financiers. Environ 75%[5] des agriculteurs dans les pays en développement reçoivent les paiements pour leurs produits agricoles en cash.
Potentiel du paiement mobile
De ce fait, le paiement mobile représenterait une solution pour les paiements effectués entre les personnes (P2P) dans les chaînes de valeur agricoles et donc une opportunité pour accroître l’inclusion financière au profit des petits exploitants.
Partenariats stratégiques
Pour cela, des partenariats doivent sans doute être établis entre les fournisseurs d’argent mobile et des entreprises du secteur agricole. Ces derniers favoriseront l’accès à des services financiers adaptés aux besoins des agriculteurs et leur permettront de faire preuve d’une certaine résilience face à certains obstacles et défis rencontrés.
Obstacles à surmonter
Certes, le paiement mobile a tout pour plaire, mais la mise à disposition de ces services dans les zones rurales se heurte à plusieurs difficultés :
- le manque d’infrastructures qui représente des défis logistiques ;
- le faible niveau d’alphabétisation ;
- l’absence de pièces d’identité formelle, etc.[6]
4. Le paiement mobile : contraintes et perspectives
Avantages du paiement mobile
L’inclusion financière est favorisée par l’accès aux services financiers via la téléphonie mobile qui donne aux gens l’avantage d’ouvrir facilement un compte bancaire en évitant les restrictions d’un système en succursale et avec des frais moins élevés.
Cadre réglementaire
Un environnement politique et réglementaire propice fait partie intégrante du succès du développement du paiement mobile, quel que soit le taux d’inclusion financière du pays.
Cas du Kenya
Le paiement mobile s’avère être un outil efficace pour les banques qui permet de soutenir leurs activités, par exemple en ciblant de nouveaux segments de clientèle ou même en répondant aux besoins d’une population qui était auparavant exclue ou mal desservie par les services bancaires de base.
Le Kenya en est le parfait exemple. Ce pays est le leader du paiement mobile en Afrique. Un véritable mastodonte avec le premier service le plus réussi d’argent mobile connu sous le nom de M-Pesa. Ce dernier connaît un énorme succès et permet à des millions de personnes non bancarisées en Afrique de transférer de l’argent, de payer leurs factures et de faire du commerce.
Défis à relever
Malgré son succès, le paiement mobile pâtit encore de la complexité de son usage dans certains pays d’Afrique. Ces derniers doivent rattraper le train en marche.
Il est vraisemblable qu’il existe plusieurs obstacles à la promotion de l’inclusion numérique et de la connectivité. En effet, parmi les facteurs exogènes bloquants, les contraintes réglementaires sont celles qui pèsent le plus sur le développement du paiement mobile.
L’absence de réglementation claire et de directives adaptées à l’amorçage du paiement mobile justifierait notamment le retard de ces services.
Perspectives et enjeux de l’inclusion financière grâce au paiement mobile
Le paiement mobile est un levier puissant pour favoriser l’inclusion financière en Afrique, mais son adoption nécessite un environnement favorable, une meilleure connectivité et des stratégies adaptées aux besoins des populations rurales.
[1] State of the Industry Report (GSMA, 2019)
[2] State of the Industry Report (GSMA, 2019)
[3] State of the Industry Report (GSMA, 2019)
[4] Banque mondiale (2019). Emploi dans l’agriculture (% de l’emploi total)
[5] The Global Findex Database (2017)
[6] Elargir la portée des services : L’argent mobile dans les zones rurales (GSMA, 2015)
Meriem Cherif est Consultante chez AMEF Consulting. Elle a rejoint l’équipe au début de l’année 2019. Elle intervient dans la réalisation de missions de conseils et d’études, axées plus particulièrement sur la Finance Inclusive & Microfinance.