- 1 avril 2021
- Mongi Ben Tkhayat - AMEF Consulting
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Défis et changements majeurs dans la banque africaine
Parler des défis des banques africaines dans l’absolu pourrait ne pas avoir beaucoup d’intérêt dans le sens où la qualification d’un défi dépend des objectifs qu’on se fixe dans un environnement donné dans lequel on évolue ou on souhaite évoluer. C’est ainsi que nous commençons notre document par un essai sur les visions stratégiques que les banques africaines pourraient avoir pour leur développement et le renforcement de leurs performances dans un environnement mouvant, de plus en plus ouvert sur l’International. Cette croissance et performance doivent être en ligne avec le développement durable des pays de notre Afrique pour assurer leur pérennité à terme.
Cette Afrique est « multicolore ». Le secteur bancaire peut différer d’une région à une autre. Ainsi, on distingue souvent 6 régions : l’Afrique du Nord, l’Afrique de l’Ouest, l’Afrique centrale, l’Afrique de l’Est, l’Afrique australe et l’Afrique du Sud. Ainsi, nous essayons d’apporter des éclairages nuancés sur les défis auxquels les banques africaines sont exposées aujourd’hui et demain selon les régions, tout en restant souvent sur des analyses globales au niveau de tout le Continent.
Dans cet article, nous nous sommes basés à la fois sur notre expérience du secteur bancaire africain depuis 1995 et sur des études et des articles indiqués dans la bibliographie présentée à la fin du document.
1.Quelles visions stratégiques pour les banques africaines ?
Malgré un environnement parfois instable et incertain, dans lequel évoluent les banques africaines, la définition des visions stratégiques claires et pertinentes constituent un enjeu important pour leur développement et leur pérennité. Une fois ces visions sont définies et approuvées par leurs différents organes de gouvernance, il est plus simple de dresser les défis à relever et les moyens à mettre en place pour cela.
- En tant que collecteur d’épargne et un acteur important dans le financement de l’économie africaine et du secteur privé en particulier, la vision des banques africaines pourrait cibler plusieurs axes à enjeux importants pour le développement socio-économique de l’Afrique dont les bénéfices sont aussi en faveur des banques elles-mêmes.
- Sur le plan macro-économique, les banques ont un rôle important dans le développement d’un environnement économique inclusif et créateur d’emplois offrant à la jeunesse africaine des emplois stables et productifs. Les banques peuvent offrir les possibilités d’exprimer des talents en Afrique plutôt que de chercher à fuir le Continent dans l’espoir d’un avenir meilleur.
Sur le plan micro-économique, les banques sont des entreprises de référence qui peuvent donner l’exemple et ouvrir la voie à d’autres opérateurs économiques vers l’excellence et les bonnes performances économiques et financières. Dans ce sens, les banques africaines doivent continuer à générer de la valeur tout en assurant leur pérennité à moyen terme.
Bien que le risque demeure élevé dans l’ensemble des pays de l’Afrique, les banques africaines ne pourraient continuer à orienter l’épargne collectée vers le refinancement des États et des grandes entreprises aux dépens du secteur privé et d’autres opérateurs économiques comme les Petites et les Moyennes Entreprises (PME). Les PME sont génératrices d’emplois et de richesse à terme. Selon la BEI « Les banques tendent à investir les dépôts dans des emprunts d’État (sans risque) qui offrent des rendements relativement élevés, contribuant ainsi à l’effet d’éviction exercé sur le crédit au secteur privé et le financement des PME en particulier. En Afrique, la part de la dette publique détenue par les banques rapportées au PIB a augmenté en moyenne de 8% en 2008 à 12% en 2017 » (Le secteur bancaire en Afrique : de l’inclusion financière à la stabilité financière, BEI, octobre 2018.)
Dans une logique de Responsabilité sociétale et avec une vision à long terme, les banques africaines ne peuvent se limiter à relever les défis à court terme. Elles doivent s’engager davantage à côté des autres parties prenantes, au développement d’un environnement socio-économique inclusif et stable.
Nous exposons dans la suite de notre document les principaux défis auxquels les banques africaines sont exposées. Nous nous appuyons sur notre connaissance du marché africain et notre vision, à savoir : la bonne gouvernance, le capital humain, la digitalisation et la gestion des risques.
2. Les défis de la gouvernance
La bonne gouvernance constitue un défi important pour les banques africaines en général dans la réussite de la mise en œuvre de leur vision stratégique et le développement de leurs performances sur le moyen terme. Notons que l’environnement est de plus en plus compétitif et exigeant sur le plan réglementaire. Il s’oriente progressivement vers les standards internationaux.
L’analyse multidimensionnelle des banques dans un pays donné, allant au-delà des performances financières, montre dans plusieurs pays des différences assez nettes qui sont dues à des dispositifs et des approches de gouvernances différents.
Bien entendu, les actionnaires et les administrateurs ont un rôle crucial dans la mise en place des systèmes de gouvernance efficients et performants pour leurs banques, mais les régulateurs peuvent et ont à jouer un rôle fondamental dans l’accompagnement de la mise en place des dispositifs. Ils doivent se référer aux meilleures pratiques internationales. C’est ce que nous observons depuis quelques années et dans plusieurs pays.
Dans ce sens et à l’instar des systèmes Anglo- saxons, il y a lieu d’encourager davantage l’intégration des administrateurs indépendants/non exécutifs dans les conseils d’administration. De la sorte les banques africaines peuvent renforcer leur bonne gouvernance et leurs performances. Le rôle des
Conseils d’administration dans la supervision des banques africaines doit être renforcé, en complément du rôle des actionnaires et en appui des efforts de management. En outre, les Comités émanant des Conseils d’administration sont à renforcer. Il convient de leur donner les prérogatives et les moyens nécessaires pour qu’ils apportent de la valeur ajoutée aux banques africaines.
Comme tout organe de supervision et de gestion des banques, les administrateurs sont aussi à évaluer individuellement et collectivement par rapport à leur mission et leurs objectifs. Ceci permettra de les challenger et de les responsabiliser davantage sur leurs performances.
Dans les différentes enquêtes disponibles et consultées, ce défi n’est pas toujours évoqué. Or il s’agit d’un des principaux enjeux des banques africaines. La difficulté à relever un tel défi réside dans sa nature qui est davantage culturelle car la réglementation ne suffira pas.
3. Les défis du capital Humain
Le deuxième défi majeur pour les banques africaines est lié aux ressources humaines. Ce défi est à la fois au niveau du recrutement qu’au niveau de la gestion et la valorisation. Dans un marché en croissance et en évolution rapide, de plus en plus ouvert sur l’international et digitalisé, les besoins des banques en ressources humaines qualifiées et maîtrisant les nouvelles technologies de l’information à l’ère du Big Data, sont plus importants que ce que les systèmes de formation offrent en Afrique.
Par ailleurs et dans plusieurs pays d’Afrique, les environnements politico-socio-économiques ne ne sont pas toujours favorables pour maintenir les compétences africaines chez elles, en leur offrant un environnement favorable pour s’exprimer et s’épanouir à tous les niveaux. En effet les pays développés sont aujourd’hui demandeurs de compétences qui valorisent mieux la ressource humaine, aussi bien au niveau de la reconnaissance qu’au niveau matériel.
Ainsi, les banques africaines doivent mettre en place de réelles politiques modernes et efficientes de gestion de leurs ressources humaines qui sont leur principal capital mais qui aujourd’hui est difficile à constituer et à préserver.
C’est ainsi que certaines banques africaines et en particulier les banques panafricaines, ont développé leur propre académie ou centre de compétences pour former et perfectionner leurs équipes selon leurs besoins et leurs nouvelles orientations métiers et organisationnelles.
4. Les défis de la digitalisation
Nous vivons aujourd’hui dans une ère numérique qui continuera à se développer fortement dans les années à venir. « 47% de la population mondiale représente des natifs du numérique d’ici 2020 et ces personnes auront accès à 20 fois plus d’informations en 2020 par rapport à aujourd’hui » (Banking in Africa matters. African Banking Survey. October 2016. PWC). Ainsi, il est important pour les banques africaines de pouvoir à la fois maîtriser et utiliser les nouvelles technologies de l’information et mobiliser les ressources financières nécessaires à leur transformation digitale. Ce challenge est d’autant important que parfois l’infrastructure de télécommunication et la réglementation ne sont pas toujours au point pour le développement des services financiers digitaux.
Les défis liés à la digitalisation sont multiples, qui vont au-delà de l’aspect technologique et financier. La digitalisation induit d’autres défis comme la cybercriminalité ou le changement du mode de consommation des clients.
Le canal des agences bancaires ne serait plus le principal canal de vente des services financiers dans le futur. D’ailleurs certaines banques africaines ont commencé même à fermer des agences et d’autres ont revu leur programme d’extension de réseau pour au moins le stabiliser à ce niveau. Aujourd’hui on parle de banque multicanale qui nécessite des investissements lourds en matière informatique. D’après une étude menée par la BEI, « Le secteur bancaire en Afrique De l’inclusion financière à la stabilité financière » – Octobre 2018, même si la moitié des groupes bancaires déclare avoir pleinement mis en place des infrastructures informatiques générales, la majorité d’entre eux n’ont toutefois pas encore achevé le déploiement des technologies de banque à distance, de celles liées aux services bancaires mobiles et de la technologie financière (FinTech), voire n’en sont encore qu’au stade de la planification.
5. Les défis de la gestion des risques
Les environnements politico-socio-économiques dans lesquels évoluent les banques africaines sont souvent difficiles et à forts risques. Par ailleurs, ils sont ouverts davantage sur l’international pour pouvoir drainer les ressources financières et les investissements nécessaires au développement des pays africains. Ceci impose aux banques africaines, à côté des exigences réglementaires plus strictes, de faire évoluer fortement leur dispositif de gestion des risques selon les meilleures pratiques internationales, en mettant en place des règles prudentielles communément retenues à l’échelle internationale et en ligne avec le dispositif Bâle II-III.
Ainsi et au-delà des risques de contrepartie qui sont élevés dans plusieurs pays d’Afrique, sachant que le taux des créances improductives dépasse les 10% dans plusieurs pays, les banques africaines sont de plus exposées à des risques opérationnels, de liquidité et de marché de plus en plus élevés. Cette situation est encore plus forte dans un contexte d’ouverture des économies africaines sur l’économie mondiale avec un soutien moins fort des monnaies locales et une inflation galopante dans certains pays d’Afrique où la croissance serait tirée de plus en plus par la consommation que par la production.
Le Trade Finance constitue une activité lucrative pour les banques qui peuvent appuyer les opérateurs économiques africains dans leurs opérations internationales et pour lesquelles ils ont besoin de ressources en devises. Ceci passe par une attention particulière de la part des banques africaines aux exigences de leurs bailleurs de fonds internationaux en matière de transparence et de respect des réglementations internationales. Ainsi, les banques africaines sont amenées à mieux combattre opérationnellement le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, en étant très strictes dans l’application des exigences réglementaires et les standards internationaux en la matière. Ceci facilite le développement de leur réseau de correspondants bancaires et la levée des fonds en devises au profit de leur clientèle en relation avec le monde. Ce n’est plus un luxe, mais une nécessité.
Dans un contexte assez favorable, au moins au niveau des intentions, à l’intégration régionale du Continent africain, plusieurs banques africaines se sont développées à l’échelle du continent, prenant parfois la place de certaines banques internationales ayant décidé de se recentrer sur d’autres régions en quittant certains pays de l’Afrique et devenant ainsi des banques panafricaines. Ceci leur imposant de nouveaux défis en matière de gestion des risques transfrontaliers, les conduisant à les bien identifier à temps, à les évaluer à leur juste valeur et à les bien gérer d’une manière consolidée. Dans ce domaine, les banques centrales ont à jouer un rôle important pour assurer la résilience des banques panafricaines ;
« l’essor des banques panafricaines appelle aussi une coordination étroite entre les instances de contrôle des pays d’origine et d’accueil » (Benedicte Vibe Christensen et Christian Upper – 2017)
6. En conclusion : grands défis… Grands espoirs !
On peut avoir un sentiment de doute en pensant aux défis que les banques africaines doivent relever à court et à moyen terme. Cependant il faut noter qu’il y a plusieurs groupes bancaires africains qui travaillent et évoluent dans la bonne direction et ont les moyens de relever de grands défis.
Par ailleurs, plusieurs banques africaines affichent de bonnes performances financières et continuent à se développer sur le plan régional, tout en innovant en matière d’offre de produits et services, même si elles sont en train de privilégier actuellement la consolidation de leur positionnement sur leur marché domestique. Les banques africaines sont deuxièmes en matière de rentabilité (ROE) dans le monde et affichent de solides ratios de solvabilité, largement au-dessus de ce qui est exigé par Bâle II.
L’Afrique est un continent jeune dont la classe moyenne évolue d’une année à une autre et la croissance économique est plus forte que celle dans d’autres régions du monde, bien qu’elle ne soit pas régulière et fragile en étant dépendant des cours du pétrole et des mines, et du prix des aliments.
Selon les Nations Unies, le continent africain sera la 2ème région du monde la plus peuplée d’ici 2050 avec une population de 2 milliards d’habitants, après l’Asie. De plus, la population urbaine en Afrique atteindra les 55% d’ici 2050, amenant 780 millions de nouveaux habitants dans les villes.
Cette évolution ne peut qu’encourager les banques africaines et leurs actionnaires et managers à continuer à s’investir pleinement pour lever les défis qui se présentent à elles en fonction de leur vision stratégique. Mais, les responsables monétaires et économiques du Continent doivent aussi jouer positivement leur rôle. Ils doivent améliorer le contexte macro-économique dans lequel évoluent les banques africaines pour les aider à relever ces défis et contribuer à l’essor tant attendu depuis des décennies de l’Afrique.
Bibliographie
Benedicte Vibe Christensen, Christian Upper. Développer la résilience aux risques mondiaux : défis pour les banques centrales africaines. BIS Papers n° 93 (août 2017). Disponible sur https://www.bis.org/ publ/bppdf/bispap93_fr.pdf
Eugene Bempong Nyantaky, Mouhamadou Sy. Le système bancaire en Afrique : principaux faits et défis. Africa Economic Brief, Volume 6, Numéro
5 (2015). Disponible sur https://www.afdb.org/ fileadmin/uploads/afdb/Documents/Knowledge/AEB_ Vol_6_Issue_5_2015_Le_syst%C3%A8me_bancaire_ en_Afrique principaux_faits_et_d%C3%A9fis.pdf
Évolution du secteur bancaire africain : nouveaux acteurs, nouveaux modèles ? Revue de PRPARCO – Secteur Privé et Développement. N° 16 (mai 2013).
Le secteur bancaire en Afrique : de l’inclusion financière à la stabilité financière. Banque Européenne d’Investissement. Octobre 2018. Disponible sur https://www.eib.org/attachments/efs/ economic_report_banking_africa_2018_fr.pdf
Mutsa Chironga, Luis Cunha, Hilary De Grandis, Mayowa Kuyoro. Roaring to life: Growth and innovation in African retail banking. McKinsey & Company. Global Banking (February 2018). Disponible sur https://www.mckinsey.com/~/media/ McKinsey/Industries/Financial%20Services/Our%20 Insights/African%20retail%20bankings%20next%20 growth%20frontier/Roaring-to-life-growth-and- innovation-in-African-retail-banking-web-final.ashx
Pan-African banks—opportunities and challenges for cross-border oversight. IMF (December 18, 2014). Disponible sur https://www.imf.org/external/np/pp/ eng/2014/121814.pdf
PWC. Banking in Africa matters. African Banking Survey. October 2016. Disponible sur https://www. pwc.co.za/en/assets/pdf/african-banking-survey- banking-in-africa-matters.pdf
Fondateur d’AMEF Consulting en 2011, Mongi Ben Tkhayat assure le développement stratégique et le management des activités du Cabinet sur son marché en Afrique et au Moyen Orient.
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