
LE BAROMETRE DE LA MICROFINANCE EN TUNISIE
1. Introduction au baromètre de la microfinance en Tunisie
L’Autorité de Contrôle de la Microfinance (ACM) communique sur son site Web trimestriellement des données sur le secteur de la Microfinance en Tunisie (baromètre de la microfinance). Sur la base de ces publications, nous avons élaboré ce papier qui présente les réalisations du secteur de la microfinance sur la période 2018-2021 et sa contribution dans le développement de l’inclusion financière de la population et des entrepreneurs.
2. Les opérateurs de la microfinance en Tunisie
Le secteur de la Microfinance en Tunisie qui date depuis les années soixante est supervisé aujourd’hui par un organisme de régulation nommé Autorité de contrôle de la microfinance (ACM).
Les institutions de microfinance sont classées selon les dispositions du décret-loi n° 2011-117 du 5 novembre 2011, modifié par la loi n°2014-46 du 24 juillet 2014, comme suit :
- Institutions de Microfinance constituées sous forme de Société Anonyme (IMF-SA)
- Institutions de Microfinance constituées sous forme d’Association (IMF-Ass)
Avant la promulgation du décret-loi n°2011-117, la microfinance est exercée par des associations de microcrédits (AMC) financées par des ressources budgétaires par l’intermédiaire de Banque Tunisienne de Solidarité (BTS Bank). Ces AMC sont tenues de se conformer à la loi en vigueur d’ici le 31 décembre 2022, le temps d’achever leur restructuration, pour continuer leurs activités.
A ce jour, sept (7) IMF-SA et une (1) IMF-Ass ont obtenu leur agrément et exercent leurs activités conformément à la réglementation en vigueur.
En parallèle, 185 AMC continuent à exercer leur activité de microfinance en bénéficiant en 2021 de financements de la part de la BTS Bank.
Pour développer leur proximité des clients et améliorer leur couverture géographique du territoire, les IMF-SA ont développé leur réseau d’agences d’une manière significative. Leur nombre d’agences a augmenté de 31% sur les 4 dernières années, passant de 151 en 2018 à 198 en 2021. Toutefois, il demeure très faible par rapport à la population cible de la microfinance et sa répartition géographique.
Par contre, le réseau d’agences de l’IMF-Ass ne s’est pas développé sur cette période, en se maintenant à 6 agences.

3. Évolution des Activités des Institutions de Microfinance (IMF) en Tunisie
Pour une grande partie de la population et des entrepreneurs, les institutions de microfinance (IMF) représentent une source de financement clé via le microcrédit.
Croissance du Montant des Microcrédits Décaissés
Le montant annuel des microcrédits décaissés par les IMF, toutes catégories confondues, y compris les AMC (Associations de Microcrédit), a connu une forte hausse en :
- 2019 : +21,4 %
- 2021 : +19 %
Cependant, en 2020, le montant est resté stable par rapport à 2019 en raison de la crise sanitaire de la COVID-19 et des restrictions imposées à la population.
En 2021, le montant total des microcrédits décaissés a atteint 1,7 milliard de dinars (MD).
Évolution du Nombre de Microcrédits Décaissés
Le nombre de microcrédits décaissés a également augmenté :
- 2019 : +4,5 %
- 2021 : +13,1 %
Cependant, en 2020, il a enregistré une baisse significative de -13,7 % par rapport à 2019, marquant l’impact direct de la pandémie sur les emprunteurs.
Montant Moyen des Microcrédits
L’évolution du nombre de microcrédits étant inférieure à celle du montant total, le montant moyen des microcrédits a augmenté :
- 2018 : 2 522 D
- 2021 : 3 600 D
Nombre de Clients Actifs et Encours en 2021
À la fin de 2021 :
- 704 072 clients actifs disposaient d’un microcrédit.
- L’engagement total des IMF s’élevait à 1,8 milliard de dinars (MD).
- L’encours moyen par client atteignait 2 494 D.
Par rapport à fin 2018 :
- +17,9 % de clients actifs
- +69,1 % d’encours total
- +43,3 % d’encours moyen par client

4. Comparaison des IMF-SA et des AMC en Tunisie : Analyse des différences clés
Il y a lieu de noter tout d’abord que les ressources financières des AMC sont exclusivement limitées aujourd’hui aux financements octroyés par l’Etat à travers la BTS Bank. Par ailleurs, le montant maximum des microcrédits pouvant être accordés par les AMC est limité à 5 000 D contre 40 000 D pour les IMF-SA. Enfin, les AMC sont en cours de restructuration avec un objectif de les fusionner en des IMF régionales associatives, à raison d’une IMF-Association par gouvernorat, soit un nombre total cible de 24 IMF associatives.
Hormis l’année 2020, la production des IMF-SA progresse d’une année à une autre, contrairement aux AMC dont la production a même baissé en 2021. Ainsi, la part des IMF-SA dans la production du secteur de la microfinance augmente d’une année à une autre en étant de 94,7% en 2021 contre 91,6% en 2018. Cette tendance est aussi la même en termes d’encours, sachant que l’encours des microcrédits des IMF-SA représente 83 ,3% du total encours du secteur à fin 2021.

Toutefois, la part des clients des AMC a demeuré relativement stable et assez significative depuis 2018 en étant aux alentours de 38%. Cette part en nombre est supérieure à celle en termes d’encours (18%). Ceci illustre en autres le rôle important des IMF associatives dans le financement d’une catégorie de population qui ne serait pas bien servie par les IMF-SA.
5. Contribution des IMF dans l’inclusion financière
Contribution des IMF à l’inclusion financière en Tunisie : Impact et chiffres clés
Les IMF (Institutions de Microfinance) jouent un rôle essentiel dans l’inclusion financière en Tunisie, notamment grâce aux services financiers qu’elles offrent, tels que le microcrédit. Ces institutions permettent à des populations exclues des services bancaires traditionnels d’accéder à des ressources financières pour améliorer leur qualité de vie et générer des revenus.
Microcrédit et accès aux services financiers :
Environ 80 % des clients des IMF-SA ne sont pas engagés avec des banques ou des sociétés de leasing, un chiffre similaire pour environ 84 % des clients des AMC. Cela démontre le rôle crucial des IMF dans l’inclusion financière de personnes qui, autrement, n’auraient pas accès aux services financiers traditionnels. En offrant des microcrédits, les IMF contribuent à réduire la pauvreté et à promouvoir l’autonomie économique des populations vulnérables.
Évolution des engagements des clients :
En revanche, l’encours des clients communs aux banques et aux IMF-SA représente 30,4 % du total des encours des IMF-SA à la fin de l’année 2021, en augmentation par rapport à 2018 (26,2 %). Cette tendance suggère que les IMF-SA s’orientent davantage vers une clientèle bancarisée, ce qui pourrait indiquer un changement dans la stratégie des IMF, visant à attirer des clients déjà intégrés dans le système financier traditionnel.
6. La qualité du portefeuille des IMF SA
Les baromètres trimestriels de microfinance établis par l’ACM ne communiquent pas d’information sur la qualité des portefeuilles des AMC. Sur ce sujet, ils se limitent aux données des IMF-SA.
A ce propos, nous observons une dégradation continue de la qualité du portefeuille des IMF-SA qui serait due en partie à la crise sanitaire liée à la pandémie COVID-19. En effet, le PAR30 a augmenté de 1,4% à fin 2019 à 2,9% à fin 2021. De même, le PAR01 a augmenté sur la même période de 2,3% à 4,3%.
Toutefois et par rapport aux standards internationaux, la qualité du risque des IMF-SA demeure acceptable avec un PAR30 inférieur à 3%. Cependant, une vigilance est nécessaire de la part des opérateurs pour contenir ce ratio dans cette limite.

7. Perspectives du secteur de la microfinance : Opportunités et défis à venir
D’après les dernières études, la population tunisienne potentiellement concernée par la microfinance est estimée à environ 3 millions de personnes. Ainsi, le secteur de la microfinance en Tunisie a encore un potentiel de développement important, surtout par rapport à son portefeuille actuel d’environ 700 000 clients. Cette dynamique pousse les IMF (Institutions de Microfinance) à investir davantage dans la digitalisation de leurs services et, dans une moindre mesure, dans le développement de leur réseau d’agences et de partenaires.
Diversification des services pour une inclusion financière complète :
Au-delà du microcrédit, l’inclusion financière, économique et sociale de la population nécessite l’offre d’autres services financiers et non-financiers, tels que l’assurance, l’épargne, l’éducation financière, et le support à la commercialisation des produits. Pour y parvenir, le contexte légal et réglementaire en Tunisie devra évoluer, afin de permettre aux IMF de développer ces nouveaux produits et services. Cela permettra de mieux accompagner les clients des IMF et de renforcer l’impact positif de la microfinance sur l’inclusion économique et la réduction de la pauvreté.
Élargissement de la population cible et nécessité d’un accompagnement global :
Le baromètre de la microfinance montre que la population servie par les AMC et les IMF sous forme associative est encore considérable. Cependant, une grande partie de la population reste non desservie par les services de microfinance, ce qui souligne l’importance de ne pas négliger ces segments vulnérables. Les décideurs et opérateurs du secteur doivent éviter de focaliser exclusivement leurs efforts sur les segments les plus rentables et ne pas oublier cette cible à la base de la pyramide.
Renforcement de la résilience des IMF face aux crises :
Pour assurer la pérennité et la résilience des IMF, il est essentiel qu’elles continuent à consolider leurs assises financières et leur gestion des risques. Cela est particulièrement crucial dans des contextes difficiles, comme celui de la crise sanitaire liée à la COVID-19. Afin de soutenir davantage le financement de la population cible, il serait pertinent de favoriser l’accès aux dépôts de la clientèle ou encore de mettre en place un fonds de refinancement dédié aux IMF. Ces solutions aideraient les IMF à mobiliser des ressources financières à faible coût, permettant ainsi de mieux répondre aux besoins des populations vulnérables.