- 16 juin 2022
- Jilani Ben Lagha - AMEF Consulting
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LA LUTTE CONTRE LE BLANCHIMENT D’ARGENT ET LE FINANCEMENT DU TERRORISME (LAB-FT) A L’ERE DE LA DIGITALISATION
1. Introduction
Face au durcissement des réglementations nationales et internationales de lutte contre le blanchiment de l’argent et le financement du terrorisme et au vu de la sophistication des fraudes, les institutions financières ont dû renforcer les contrôles des dossiers clients et ont ainsi alourdi les parcours-clients.
Les obligations de confinement et de distancement imposées par le COVID ont pour leur part vivement impacté le parcours de connaissance du client, élément clé du processus de LCB-FT entamé par les établissements financiers.
Ces établissements, les banques plus spécifiquement, sont obligés de métamorphoser leur mode de travail et la manière avec laquelle ils collectent des renseignements et des données auprès des clients potentiels dès l’entrée en relation d’affaires.
La digitalisation des parcours « Know Your Customer » KYC apparaît ainsi comme un levier important d’efficacité susceptible non seulement d’alléger l’impact susmentionné mais aussi d’améliorer l’expérience client digitale. Toutefois, des interrogations se posent à ce propos. Elles sont liées en majorité aux entraves techniques, à la fiabilité des outils et à l’opinion législative face au risque que peut comporter de telles initiatives…
Dans cet article, nous allons aborder la question du e-KYC, comme piste d’amélioration de la qualité de service d’une part et de renforcement du dispositif de LCB -FT et ce, après un bref rappel de certaines notions de base ainsi que du cadre législatif et règlementaire.
2. Notions de base
Le blanchiment d’argent :
Selon VERNIER Éric (2018), le blanchiment des capitaux est défini comme un processus servant à cacher l’origine des fonds en provenance d’activités criminelles telles que les trafics de drogue, trafics d’armes, corruption, etc. Son ultime but consiste à faire croire que des capitaux illégalement acquis ont une source licite et à les insérer dans la sphère économique.
Le blanchiment est à notre avis le fait qu’une personne physique ou morale agit de façon à aider à dissimuler ou à couvrir l’intégration dans le système financier de l’argent sale et de l’argent noir
L’argent noir est celui gagné par la fraude fiscale et l’évasion fiscale
L’argent sale quant à lui provient d’activités illégales et criminelles. C’est l’argent qui provient principalement du trafic de drogue et du crime organisé
Ce mécanisme complexe est jugé nuisible aux économies des pays et pourrait avoir des dérives néfastes dans la mesure où la criminalité financière peut facilement déborder vers le financement du terrorisme.
La lutte contre ce fléau a été décrétée par la communauté internationale depuis ses premières apparitions, elle s’étend sur près d’un demi-siècle.
Ce n’est qu’en 1989 et devant les menaces de voir le système financier international impliqué directement ou indirectement dans le mécanisme de blanchiment d’argent et de financement de terrorisme au risque de toucher à son intégrité, que la communauté internationale a instauré des mesures, des législations et des instances de lutte obligeantes aux pays qui y adhèrent.
Le Groupe d’Actions Financières (GAFI) :
L’année 1989 a connu la création par le G7 du GAFI, organisme intergouvernemental qui veille sur l’intégrité du système financier international à travers la lutte contre le blanchiment des capitaux, le financement du terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive. Le GAFI aura un rôle déterminant dans l’élaboration des normes internationales en matière de LCB-FT, dans la mobilisation de la communauté internationale contre les crimes de blanchiment et de financement du terrorisme
Le GAFI se compose de 37 pays et territoires, ainsi que de 2 organisations régionales (Commission Européenne et Conseil de Coopération du Golfe). D’autres pays adhèrent à travers neuf organismes régionaux de type GAFI qui jouent un rôle essentiel pour s’assurer que leurs Etats membres mettent en œuvre les recommandations du GAFI.
Publiées en 1990, les recommandations du GAFI (40) ont été révisées en 1996, 2001, 2003 et plus récemment en 2012 afin d’assurer qu’elles restent d’actualité et pertinentes. Elles ont vocation à être appliquées par tous les pays du monde.
L’organe de décision du GAFI, la plénière, se réunit trois fois par an.
LCB-FT et KYC :
LCB-FT et KYC sont deux concepts étroitement liés qui doivent être compris dans le cadre du processus de vérification d’identité des clients et de dépistage de leurs comportements. Ainsi, la relation entre les processus KYC et LCB-FT est fondamentale pour prévenir le blanchiment d’argent dans les relations contractuelles et les transactions.
Le KYC est en fait une étude comportementale, qui permettra de dessiner un profil pour chaque client en fonction de l’historique de son comportement. Une fois le KYC établi, il sera possible de déterminer si les opérations que réalise le client sont suspectées d’être liées au délit de blanchiment des capitaux et /ou de financement du terrorisme.
A la suite des attentats du 11 septembre 2001, le Comité de Bâle avait rappelé la nécessité d’une politique active et systématique fondée sur la règle des 3 K : Know Your Customers, Know Your Suppliers, Know Your Employees.
3. La gestion contraignante du risque LCB-FT
Les établissements financiers (banques et assurances) sont considérés comme des secteurs d’activités le plus exposés aux risques de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme.
En effet, les établissements financiers encourent des risques de sanctions lourdes s’ils ne respectent pas leur obligation de vigilance, d’information et de mise en garde. A titre d’exemples :
- En 2018, le montant cumulé des sanctions infligées par l’Autorité Française de Contrôle Prudentiel et de Résolution (AFCPR) s’élevait à 70 millions d’euros.
- En 2021 la Cour d’appel de Paris impose à une banque suisse soupçonnée d’avoir encouragé de riches clients français à frauder le fisc une amende de 1,8 milliards d’euro
Cependant, la gestion de ce risque n’est pas sans effet sur la relation de l’établissement financier avec sa clientèle et sur la pérennité de ses processus.
En effet, le dispositif de contrôle lors de l’entrée en relation a alourdi les parcours clients et complexifié l’expérience client, rendant les clients de moins en moins satisfaits.
En parallèle, la mise en place de nouvelles procédures internes a impacté les équipes opérationnelles des banques (commerciaux, back office, conformité).
Les tâches administratives sont devenues plus longues, plus fastidieuses et les risques d’erreurs humaines ont augmenté.
D’autre part, la connaissance durable du client, depuis la mise en relation « Emboarding » et durant la vie de la relation, impose le traitement d’un nombre important de données nécessitant un travail rigoureux et chronophage, qui ne peut jamais être fiable à 100% lorsqu’il est manuel.
Sur un autre plan, la crise COVID a montré qu’il est impossible de mettre en place un parcours de connaissance du client (KYC) dans une atmosphère de confinement et de distancement d’où une maitrise du risque LCB -FT de plus en plus difficile.
4. La Digitalisation du parcours KYC
Quand on parle de KYC pour les banques, il faut donc sous-entendre les processus de :
- Entrée en relation
- Remédiation
- Revue périodique
De nos jours, l’Intelligence Artificielle et le Machine Learning mettent au service des banques des solutions précieuses mais qui ne sont pas sans risques, pour vaincre les contraintes sus-indiquées.
Dans l’exemple de l’entrée en relation avec un établissement financier, les différentes étapes du parcours se digitalisent comme suit :
- Le client remplit un formulaire directement en ligne ou sur une tablette en agence en renseignant ses informations personnelles
- Il fournit les pièces justificatives nécessaires à la constitution de son dossier (identité, revenus, domicile, documents de l’entreprise) sur une interface dédiée
- Un contrôle automatique et en temps réel est réalisé sur les pièces justificatives. Ce contrôle vérifie la véracité, la cohérence et la complétude du dossier.
- Une fois le dossier vérifié et accepté par la banque, le client signe le contrat via une solution de signature électronique
- Son dossier est archivé de manière sécurisée et son compte est ouvert
Dans la réalité, cette description simplifiée de la digitalisation du parcours KYC n’est pas toujours facile à mettre en place. Les entraves techniques, sécuritaires et règlementaires sont multiples et parfois bloquantes.
- Sur le plan technique: pour digitaliser les 3 processus du KYC de manière efficace, il est nécessaire d’embarquer un nombre important de fonctions digitales. Il s’agit des 7 blocs fonctionnels digitaux suivants :
La signature électronique | Smart automation (BOT) |
L’authentification forte | Workflow |
Le RAD-LAD * | Système GED |
Gestion des pièces |
* La LAD (lecture automatique de documents), regroupe trois technologies indispensables à son fonctionnement : la RAD (reconnaissance automatique de documents), l’OCR (reconnaissance optique de caractères) et l’IRC (reconnaissance intelligente des caractères)
Ce sont des notions faisant partie intégrante de la numérisation documentaire et de la gestion électronique de documents (GED). L’objectif de ces applications, outils et technologies est de rendre la GED plus performante et adaptée aux utilisateurs.
Le défi de mettre en œuvre les 7 blocs digitaux diffère d’une institution bancaire à une autre et dépend de la maturité du processus de digitalisation dans la banque.
- Sur le plan règlementaire et sécuritaire : la digitalisation du KYC en particulier concernant l’entrée en relation à distance présente au regard de la 5ème directive LAB-FT (Directive UE n°2018/843 du 30 mai 2018) des risques de fraude importants notamment au niveau de la fraude identitaire induite par le recours à l’identification électronique
En effet, l’expérience a montré que la fraude identitaire est un phénomène significatif, en particulier pour les crédits à la consommation :
- 6% des documents en circulation seraient frauduleux en France
- 5 – 20 milliards d’euros : montant des dommages causés aux entreprises chaque année par la fraude identitaire
Afin de pallier ces entraves et d’encourager le recours à la digitalisation, cette même 5ème directive LAB-FT reconnait la légalité d’une entrée en relation à distance sous des conditions et restrictions bien spécifiées notamment en matière d’identification électronique.
Ceci a permis à un grand nombre d’établissements financiers européens d’accéder à la digitalisation du parcours de connaissance du client (KYC) et de bénéficier de ses avantages
5. Conclusion
Sous réserve du respect des prérequis en matière de sécurisation du schéma d’identification numérique prévu par la norme européenne, le déploiement des services de KYC digitaux offre plusieurs avantages :
- Le respect des mesures LCB-FT et la limitation du risque de fraude
- Un gain de temps concernant la collecte et le contrôle des pièces justificatives (pour la banque et le client)
- La réduction des coûts notamment humains (back office)
- La simplification des processus d’entrée en relation (en particulier pour les personnes physiques), générant une meilleure expérience client
Pour le cas de la Tunisie qui vient récemment de réussir sa sortie du classement infligé par le GAFI comme pays ayant des déficiences stratégiques majeures dans son dispositif LCB/FT, les préoccupations sont surtout centrées sur la mise en conformité et le renforcement du dispositif LCB/FT du secteur financier. La digitalisation des parcours KYC n’a pas encore muri chez la communauté bancaire qui se focalise plutôt sur la formation, la mécanisation des processus de surveillance, d’alerte et de divulgation.
A cet égard et en dehors des ambitions de digitalisation du parcours KYC qui ne semblent pas être aujourd’hui la priorité, les banques tunisiennes et les autorités compétentes sont appelées à renforcer davantage le dispositif LCB/FT conventionnel en suivant les recommandations suivantes :
- Renforcer le système de communication inter-banques et celui des banques avec les différents autres intervenants (BCT, Ministère de l’intérieur …)
- Éradiquer l’anonymat ;
- Confirmer la validation des ouvertures de compte en J+n par le département conformité ; (J : jour d’ouverture du compte par le réseau, n : est à écourter au maximum )
- Renforcer la formation du personnel au sujet du blanchiment des capitaux ;
- Intégrer l’élément d’éthique dans la sélection des nouvelles recrues ;
- Renforcer l’interconnexion entre les banques et les organismes publics concernés afin de mieux connaitre le client potentiel lors de la période de validation J+n ;
- Mettre en place une plateforme BLOCKCHAIN contrôlé par l’Etat afin de rendre facile et prompte la circulation de l’information relative aux clients lors de l’entrée en relation ;
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