- 17 juin 2023
- Jilani Ben Lagha - AMEF Consulting
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LES CHALLENGES DE LA CONFORMITE EN MICROFINANCE
I- La Conformité
La conformité, en anglais compliance, est un concept récent qui a fait naître de nouvelles obligations pour l’entreprise d’une façon générale et pour les institutions financières en particulier.
Elle se définit comme l’obligation de veiller à ce que l’Institution financière s’assure en permanence que soient respectés :
- Les dispositions législatives et réglementaires propres aux activités financières ;
- Les normes et usages professionnels et déontologiques ;
- Les codes de conduites notamment le code éthique et les procédures internes.
Le risque de non-conformité se définit comme le risque de sanctions judiciaires, administratives ou disciplinaires, de pertes financières significatives ou d’atteinte à la réputation conséquent à un non-respect de dispositions propres à la profession, qu’elles soient de nature législatives ou règlementaires ou qu’il s’agisse de normes professionnelles et déontologiques ou d’instructions de l’organe exécutif.
Au sein de l’Institution Financière, la fonction Conformité couvre :
- La Sécurité Financière : Lutte contre la fraude, le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, l’abus de marchés & embargos ;
- La Protection de la Clientèle : Protection continue de la clientèle en préservant aussi bien ses intérêts propres que ceux des marchés ou de l’Institution Financière ;
- La Déontologie : Respect des règles de déontologie de l’établissement et traitement des signalements de l’ensemble des collaborateurs.
II. Les enjeux de la Conformité en Microfinance
La fonction de contrôle de la conformité est apparue dans le secteur financier à la fin des années 80 dans les pays anglo-saxons. De nos jours c’est devenu une exigence internationale forte :
- Les organismes internationaux y prêtent une grande attention
- Les régulateurs y attachent une importance croissante : recommandations du Comité de Bâle d’avril 2005,
- La société dans son ensemble exige plus de la transparence et plus d’éthique.
En Tunisie, la fonction de contrôle de la conformité, appelée communément « fonction de conformité », a vu le jour en 2006 et ce dans l’article 34 quarter de la loi n°2006-19 du 02 mai 2006 (Les établissements de crédit doivent mettre en place un système de contrôle de la conformité, approuvé par le conseil d’administration ou le conseil de surveillance et revu annuellement.).
Par la suite un ensemble de textes et de circulaires sont venus renforcer le positionnement de cette fonction :
- La loi 2016-48 du 11 Juillet 2016 relative aux banques et aux établissements financiers : Article 53 – La banque ou l’établissement financier doit créer au sein de son organigramme des fonctions d’audit interne, de gestion des risques et de contrôle de conformité. Ces fonctions doivent être indépendantes des organes d’exploitation et d’appui….
- la circulaire BCT 2017-08 du 19 septembre 2017 – règles de contrôle interne pour la gestion du risque de blanchiment d’argent et financement du terrorisme : Article 57 : Le responsable désigné en qualité de correspondant de la CTAF* selon les dispositions de l’article 13 de la décision de la CTAF n°2017-2 ainsi que son suppléant doivent faire partie de l’organe permanent de contrôle de la conformité
- La circulaire BCT 2021-05 du 19 août 2021 ayant pour objet : Cadre de gouvernance des banques et des établissements financiers : Article 51 : La fonction de contrôle de la conformité doit exercer un rôle de conseiller auprès de l’organe d’administration et de l’organe de direction sur les questions liées au respect des dispositions légales et règlementaires en vigueur et les tenir informés des changements en la matière. Dans l’exercice de ses fonctions, la fonction de contrôle de la conformité est indépendante de l’organe de direction.
A cet effet, cette fonction doit notamment :
- assurer une mission de veille réglementaire,
- établir une cartographie des risques de non-conformité,
- veiller à ce que l’établissement dispose de procédures formalisées et de règles de contrôle interne pour les domaines relevant directement de la fonction de contrôle de la conformité,
- procéder régulièrement à une vérification du respect de la politique, des procédures en matière de conformité et recommander les mesures correctrices qu’il y a lieu de prendre,
- donner un avis écrit sur les nouveaux produits à commercialiser et sur les procédures de contrôle interne y afférents,
- dispenser régulièrement des formations à l’ensemble du personnel sur les procédures de contrôle de la conformité relatives aux opérations qu’il effectue et veiller à la diffusion de la culture de la conformité,
- remonter à l’organe d’administration des rapports sur les problèmes et les dysfonctionnements constatés au niveau des procédures ainsi que les mesures à prendre pour pallier ces insuffisances, et
- établir un rapport semestriel sur son activité qui doit être transmis au comité d’audit.
III. La Microfinance face aux risques de non-conformité
Les institutions de microfinance (IMF) sont des entreprises à caractère financier spécialisées dans l’accompagnement des personnes qui n’ont pas accès aux banques classiques.
Au même titre qu’une banque, une institution de microfinance octroie des crédits. Toutefois, le montant des prêts est inférieur à celui des prêts accordés par les banques traditionnelles. Les clients des IMF sont considérés comme trop risqués par les banques traditionnelles. En effet, la contrainte majeure pour les IMF est le manque d’actifs tangibles de leurs clients en garantie des crédits accordés.
Un autre problème lié aux clients des IMF est celui de l’asymétrie d’information qui peut déboucher sur des problèmes de sélection de la clientèle et de fausse appréhension du risque.
Les IMF sont confrontées, en outre, à des risques spécifiques qui augmentent leurs responsabilités en matière de conformité :
- Les risques institutionnels qui sont liés à la mission sociale ou commerciale de l’IMF et à sa dépendance vis-à-vis des organismes internationaux.
- Le risque opérationnel qui peut prendre la forme d’un risque de crédit, de fraude ou de sécurité.
- Les risques de la gestion financière qui sont liés à la gestion actif/passif, l’inefficience ou non intégrité du système d’information et surtout du système de gestion comptable.
- Les risques externes qui peuvent être liés à la réglementation, à la concurrence, à la démographie, à l’environnement physique et aux conditions macroéconomiques.
Comme toute autre entreprise, les IMF sont exposées aux risques de non-conformité. Mais l’exposition des IMF est plus accentuée par la multiplicité des normes règlementaires et des règles prudentielles auxquelles elles sont soumises et surtout par l’engagement éthique et la responsabilité humanitaire qu’elles incarnent.
Le métier de l’IMF est similaire à celui de la banque en matière de collecte de l’épargne, de mobilisation des ressources et d’allocation des crédits.
Il l’est aussi et à un degré moindre en matière d’organisation et de structure.
Les deux métiers convergent aussi sur le plan d’exposition à des risques divers (opérationnels, de crédit, de marché…).
Cette similitude impose aux IMF des exigences de conformité très proches de celles des banques dont toute négligence peut basculer vers une accentuation des risques de perte d’argent, de dégradation de la notoriété, d’atteinte à la réputation et de sanctions judiciaires ….
Le défi de la conformité dans le secteur de la microfinance présente de nombreuses spécificités. Le contrôle de non-conformité touche notamment à :
- La protection de la clientèle
- La lutte contre les abus de marché
- La protection des informations sensibles
- Le respect des procédures exigées par la réglementation financière locale pour toutes les opérations, la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme
- Le respect des mesures nationales et internationales relatives à la lutte contre la corruption
- Le respect des règles de concurrence instituées par les autorités de contrôles locales
Les constats sus mentionnés mettent les IMF devant un challenge de taille de bien gérer le risque de non-conformité et d’accorder à la fonction conformité la place qu’elle mérite.
En l’occurrence la mise en place d’un dispositif de gestion du risque de non-conformité et de veille règlementaire au sein de l’IMF est vivement indiquée afin de s’assurer que les solutions mises en œuvre par l’IMF sont en ligne avec les règlementations et les pratiques de la place et pour œuvrer notamment à ce que l’IMF dispose des éléments suivants :
- Un code de déontologie pour les collaborateurs
- Une politique de gestion des conflits pour les collaborateurs
- Une politique de lutte contre la corruption pour les collaborateurs
- Une politique de lutte contre la fraude pour les collaborateurs
- Une politique des cadeaux et autres avantages pour les collaborateurs
- Un code de déontologie inter- IMF
- Une politique de gestion des conflits d’intérêts
- Une charte du code de bonne conduite envers les parties prenantes
- Une politique traitant les règles de conduite assurant la protection des données à caractère personnel ainsi qu’au respect du secret professionnel
- Une politique de lancement d’alerte de non-respect des normes et exigences règlementaires
- Une cartographie des risques de non-conformité
- Des procédures de gestion des risques LAB-FT
- Formation, assistance et orientation du personnel concernant les risques de non-conformité réglementaire.
Certains analystes estiment que la mission de la fonction Conformité au sein de l’institution de microfinance est appelée à aller au-delà de son attribution de définition des règles et des procédures de surveillance des risques.
Elle devrait désormais contribuer au développement d’une culture éthique forte et des pratiques d’entreprise exemplaires et ancrer le savoir de respect des règles permettant une performance solide et pérenne. Elle devrait par ailleurs se positionner en tant que partenaire des métiers assurant une mission plus évoluée en passant notamment :
- Du conseil en conformité vers la déclinaison opérationnelle : traduire des textes règlementaires en actions opérationnelles spécifiques, et s’assurer que les solutions sont en ligne avec la réglementation et les pratiques de place
- De la surveillance du risque de conformité vers un partenaire des métiers : se positionner en tant que partenaire commercial plutôt qu’auditeur interne et assurer une compréhension globale des activités et les contrôles associés pour surveiller les risques résiduels réels
- De la supervision opérationnelle vers un moteur du changement : agir comme un catalyseur pour les initiatives et être une force de proposition pour simplifier le modèle opérationnel
- Du reporting passif vers du lobbying : assurer une veille et connaissance du marché pour anticiper les changements de la profession et défendre les intérêts de l’entreprise dans des actions de lobbying
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