- 17 octobre 2023
- Jilani Ben Lagha - AMEF Consulting
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INTEGRATION DES RISQUES CLIMATIQUES PAR LES BANQUES DANS LA GESTION DE LEURS RISQUES
I- Introduction
Les risques climatiques sont devenus une préoccupation majeure dans le domaine de la finance. En raison du changement climatique et de ses impacts potentiels sur l’économie, les banques doivent désormais prendre en compte ces risques dans leur gestion des risques.
Nous explorerons dans ce blog l’importance de l’intégration des risques climatiques dans la gestion des risques par les banques et les mesures qu’elles peuvent prendre pour faire face à cette nouvelle réalité.
II. Catégories et Enjeux des Risques Climatiques
1. Les catégories des risques climatiques
On distingue une multitude de risques climatiques impactant l’activité bancaire et qui sont en étroite relation avec les changements climatiques et les besoins de transition vers une économie verte :
- Risques physiques :
Les risques physiques liés au Climat incluent les événements météorologiques extrêmes tels que les tempêtes, les inondations, les sécheresses et les incendies de forêt. Ces événements peuvent endommager les infrastructures, les biens immobiliers, les récoltes et les chaînes d’approvisionnement, entraînant des pertes financières importantes.
Par exemple, une banque qui a accordé des prêts hypothécaires sur des biens immobiliers exposés aux risques d’inondation peut subir des pertes si ces biens sont endommagés ou détruits.
- Risques de transition :
Les risques de transition sont liés aux changements réglementaires, politiques, technologiques et économiques visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre et à promouvoir une économie plus sobre en carbone. Ces changements peuvent avoir des répercussions significatives sur certaines industries, créant des risques financiers pour les institutions financières qui sont exposées à ces secteurs.
Par exemple, une banque ayant accordé des prêts à des entreprises fortement dépendantes des énergies fossiles peut être confrontée à des pertes si ces entreprises s’exposent à des réglementations plus strictes ou à une baisse de la demande stimulée par les comportements antipollution climatique des éco-consommateurs.
- Risques de responsabilité / réputation :
Les risques de responsabilité sont associés aux actions en justice et aux réclamations potentielles liées aux impacts du changement climatique. Les parties prenantes, y compris les investisseurs, les clients et les communautés locales, peuvent tenir les institutions financières responsables de leurs activités qui contribuent au changement climatique ou qui ne prennent pas suffisamment en compte les risques climatiques. Ces réclamations peuvent entraîner des coûts juridiques élevés, des amendes et des dommages à la réputation.
2. Les enjeux des risques climatiques
En raison de ces risques climatiques, les institutions financières, y compris les banques, doivent intégrer les considérations climatiques dans leurs politiques, leurs pratiques de gestion des risques et leurs décisions d’investissement. Cela leur permet de mieux évaluer et gérer les risques liés au climat, de protéger leurs actifs et leurs intérêts financiers, et de contribuer à une transition vers une économie plus durable et résiliente aux changements
L’intégration des risques climatiques dans la gestion des risques d’une banque est devenue une nécessité incontournable et ce aux vues des impacts qui sont de plus en plus graves sur son développement
La négligence ou l’inconsidération des risques liés aux changements climatiques par une un Institution Financière (IF) lui feront subir des répercussions directes sur plusieurs aspects de son activité, notamment :
- Au niveau de la valeur des garanties :
En intégrant les risques climatiques dans la gestion des risques, les IF peuvent mieux identifier, évaluer et atténuer l’impact des événements climatiques extrêmes, tels que les tempêtes et les inondations sur les prêts hypothécaires aux entreprises et les investissements dans les infrastructures.
- Au niveau de la réputation :
Les clients, les investisseurs et les autres parties prenantes attachent de plus en plus d’importance à la responsabilité sociale et environnementale des institutions financières. Les banques qui intègrent les risques climatiques dans leur gestion des risques démontrent leur engagement envers la durabilité et la gestion responsable des ressources. Cela peut renforcer la confiance des clients et des investisseurs, protéger la réputation de la banque et lui donner un avantage concurrentiel.
- Au niveau Opportunités d’innovation et de croissance :
En négligeant les risques climatiques dans leur gestion des risques, les banques peuvent se voir privées de nouvelles opportunités commerciales, telles que le financement de projets d’énergie renouvelable, d’efficacité énergétique et d’infrastructures durables. Cela peut ouvrir de nouveaux marchés et stimuler la croissance à long terme.
- Au niveau de la conformité aux réglementations :
Les régulateurs financiers du monde entier ont commencé à prendre des mesures pour intégrer les risques climatiques dans la gestion des risques des institutions financières. Ils exigent une meilleure transparence et une divulgation accrue des risques climatiques auxquels les banques sont exposées. La non-conformité à ces exigences expose les IF à des sanctions à aspects multiples.
En effet les réglementations et les initiatives mondiales visant à encourager l’intégration des risques climatiques ne cessent de se multiplier et de se diversifier, nous en citons à titre indicatif :
- Recommandations de la Task Force on Climate-related Financial Disclosures (TCFD) :
La TCFD, créée par le Conseil de stabilité financière (FSB), a publié en 2017 des recommandations pour aider les entreprises à divulguer de manière transparente les risques liés au climat. Ces recommandations encouragent les institutions financières à évaluer les risques climatiques, à les intégrer dans leur gestion des risques et à les divulguer de manière systématique. Les recommandations TCFD comprennent la divulgation des scénarios de transition et des analyses de sensibilité climatique.
- Directive sur la publication d’informations relatives à la durabilité de l’Union Européenne :
L’Union européenne a adopté une directive sur la publication d’informations relatives à la durabilité (SFDR), qui exige des institutions financières qu’elles divulguent des informations sur la façon dont elles intègrent les risques climatiques dans leurs activités. La directive SFDR vise à accroître la transparence et la comparabilité des informations sur la durabilité pour les investisseurs et les clients.
- Directives de la Banque des Règlements Internationaux (BRI/BIS) :
La BRI a publié des directives pour aider les banques à intégrer les risques climatiques dans leur gestion des risques. Ces directives mettent l’accent sur l’évaluation des risques physiques et de transition, l’intégration des risques climatiques dans les cadres de gestion des risques, la gouvernance et la divulgation. La BRI encourage également les banques à collaborer avec d’autres parties prenantes pour développer des normes et des pratiques communes en matière de gestion des risques climatiques.
- Normes de l’Initiative financière du Programme des Nations Unies pour l’environnement (UNEP FI) :
L’UNEP FI a développé plusieurs normes et outils pour aider les institutions financières à intégrer les risques climatiques dans leur gestion des risques. Par exemple, “Principles for Responsible Banking” établit les principes fondamentaux pour une gestion responsable des risques environnementaux et sociaux, y compris les risques climatiques. De plus, l’UNEP FI a développé des outils pour l’évaluation et la gestion des risques climatiques, tels que le “Portfolio Climate Risk Assessment Tool”.
III. Etat des lieux
En somme, l’intégration des risques climatiques dans la gestion des risques d’une banque / IF est essentielle pour protéger les intérêts financiers, se conformer aux réglementations, gérer la réputation et saisir les opportunités de croissance dans un contexte de changement climatique. Les banques doivent évaluer et atténuer les risques climatiques pour garantir leur résilience.
1. A l'échelle mondiale
Plusieurs banques à travers le monde ont pris des mesures concrètes pour intégrer les risques climatiques et mettre en œuvre des mesures d’adaptation et d’atténuation. Voici quelques exemples de banques qui sont reconnues pour leurs initiatives dans ce domaine :
Citigroup : Citigroup a annoncé son engagement à mobiliser 1 000 milliards de dollars d’ici 2030 pour financer des initiatives liées au climat et au développement durable. La banque vise à soutenir des projets tels que les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique et la transition vers une économie bas-carbone. Concernant la transparence, Citi déclare ses émissions de gaz à effet de serre depuis près de vingt ans et elle a été en 2018 la première grande banque américaine à publier son premier rapport climatique suivant les recommandations du TCFD.
JPMorgan Chase : JPMorgan Chase s’est engagée à aligner ses activités de financement sur les objectifs de l’Accord de Paris. La banque a annoncé qu’elle ne financerait plus les projets de développement de centrales électriques au charbon et qu’elle s’efforcerait d’atteindre une empreinte carbone nette nulle d’ici 2050.
Banco Santander : Banco Santander a mis en place une stratégie de financement durable qui comprend des prêts verts et des obligations vertes. Elle se veut être une banque responsable et s’est fixé plusieurs objectifs, dont l’apport de 220 milliards d’EUR de financements verts entre 2019 et 2030.
ING Group : ING Group a développé une approche de gestion des risques climatiques en évaluant l’exposition de son portefeuille aux risques climatiques et en identifiant les entreprises les plus vulnérables. La banque intègre également des critères ESG dans ses décisions d’investissement et a mis en place des initiatives pour financer des projets d’énergie propre.
Bank of America :En 2021 , la banque prend le virage de la transition vers une économie durable. Elle a annoncé le déploiement de 1000 milliards de dollars à l’horizon 2030 dans le cadre de son programme « Environmental Business Initiative », afin de verdir l’économie et d’atteindre en 2050 son objectif initial zéro émission nette de gaz à effet de serre (GES).
La banque Goldman Sachs a annoncé depuis 2019, qu’elle entend investir 750 milliards $ dans la lutte contre le réchauffement climatique au cours de la décennie à venir. Elle s’engage ainsi à accompagner ses clients dans la marche vers la durabilité en finançant les projets de développement durable entrant dans le cadre de la transition climatique et favorisant une croissance inclusive pour les personnes défavorisées.
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Ces exemples illustrent la diversité des mesures prises par les banques pour atténuer les risques climatiques. Elles démontrent également l’importance croissante accordée par le secteur financier à la prise en compte des enjeux climatiques et à la promotion du développement durable
2. En Afrique
Une enquête menée par la BEI en 2021 auprès de 78 grandes banques et institutions de financement d’Afrique révèle que les banques africaines sont de plus en plus conscientes de la nécessité de faire face aux risques que représente le dérèglement climatique et commencent à tirer parti des possibilités qu’offre la finance verte.
L’enquête révèle que parmi les banques interrogées, 54 % considèrent déjà le climat comme un enjeu stratégique, et un peu plus de 40 % ont du personnel travaillant sur les perspectives liées au climat. D’autres institutions financières, notamment dans les secteurs de la microfinance, du capital privé et de l’assurance comblent également les lacunes du marché de la finance verte.
Cependant le souci majeur pour les banques et les autorités africaines demeure un souci de collecte de ressources adéquate en termes de cout et de durée. A cet égard, Selon le rapport de la Banque africaine de développement, l’Afrique du Nord nécessitera environ 280 milliards de dollars entre 2020 et 2030 pour soutenir sa transition vers une économie à faible émission de carbone et résiliente au changement climatique. La Tunisie reçoit environ 48,3% du financement annuel dont elle a besoin pour le climat, ce qui la place en tête des pays de la région d’Afrique du Nord, suivi par l’Égypte qui en reçoit 35,8%. Cependant, il existe d’importantes disparités entre les pays, avec la Mauritanie qui ne reçoit que 2,2% de son financement climatique nécessaire.
3. En Tunisie
Dans son rapport consacré aux perspectives économiques en Afrique 2023, la BAD indique que La Tunisie devra mobiliser 24,4 milliards de dollars, au titre de la période 2020-2030, pour répondre de « manière adéquate » aux défis du changement climatique,
Elle explique en ce sens que les coûts d’adaptation et d’atténuation sont estimés respectivement à 4,22 milliards de dollars et à 14,39 milliards de dollars, tandis que les pertes et dommages provoqués par le changement climatique sont évalués à 4,99 milliards de dollars.
La BAD recommande à la Tunisie de se tourner vers le secteur privé et les marchés financiers (les obligations vertes et le marché du carbone), pour mobiliser les financements nécessaires.
Néanmoins, le constat des faits montre que La Tunisie a fait beaucoup de travail au niveau de l’atténuation à travers l’implémentation de programmes d’efficacité énergétique, toutefois beaucoup reste à faire au niveau du volet adaptation et développement des énergies renouvelables.
S’agissant du rôle du secteur financier et au-delà des contraintes financières, les banques tunisiennes sont appelées à appréhender les concepts et les enjeux liés à la finance climatique, à connaître les principaux fonds dédiés (dont le fonds vert climat), et à maîtriser la structuration des projets et les modalités d’accès aux financements climatiques.
IV Conclusion
Le positionnement des banques, surtout celle de taille grande et moyenne, par rapport aux risques climatiques demeure une problématique dont la maitrise ne dépend pas uniquement d’elles. En effet, les spécificités des investissements dans des projets verts et la mise en œuvre des solutions préconisées pour assurer la transition climatique appellent nécessairement une contribution des autorités de régulation et des gouvernements pour aider les banques à assumer leurs rôles en matière de gestion des risques inhérents.
On appelle notamment à des assouplissements en matière des réglementations et politiques visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre et à promouvoir une économie plus sobre en carbone (subventions, provisionnement …). On réclame aussi des pondérations avantageuses et incitatives des risques liés aux crédits verts accordés par les banques dans la structure des différents ratios règlementaires (ratios de solvabilité notamment )
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